Se faire le portrait

Christian Vachon - 27 novembre 2023

Comment vous décrivez-vous ? Votre corps est-il bavard ? Votre apparence est-elle mensongère ? Trente jeunes auteurs et autrices québécois·es, des « enfants du siècle » (Vincent Vallières, Audrée Wilhelmy, Catherine Leroux, etc.) relèvent, en courts textes de deux à trois pages, avec humeur ou dans la douleur, le défi de l’autoportrait. Comme le dit Lynda Dion dans son texte, « L’effacement » : c’est un sujet « qui provoque des dégâts ». On cherche « à comprendre ce qu’on voit de soi » dans ce Selfies, une aventure collective pilotée par Kiev Renaud et illustrée par Kaël Mercarder, publiée aux éditions Le Cheval d’août.

Bien de ces « selfies » s’éloignent des clichés. M.K. Blais, dans son « Polyptique », entreprend de dessiner sa figure sur « la vitre froide de l’autobus ». Il la voit « disparaitre à chaque fois ». Audrée Wilhelmy (« La patine des heures ») opte pour une exploration tactile de sa charpente « gardant la patine des heures, des années ».

Plusieurs se scrutent, étonnés (Annie Landreville dans « Hors champ » : « je ne me pensais pas comme ça »), devant le miroir, évitant à tomber dans le portrait flatteur comme l’évoque Maryse Andraos (« Retour sur Tinder »). Il y a là une certaine « sensibilité, empêtrée par la réserve ».

Martina Chumova (« Vitruves ») vérifie si les proportions de L’homme de Vitruve fonctionnent sur elle. Fanie Demeule (« En négatif ») constate chez elle « une constellation de grains de beauté suspects » et des « réparations dentaires coûteuses », sans compter qu’elle doit dégager son drain de douche « à toutes les trois semaines ».

Simon Boulerice (« La rosette de Simon »), tout en promenant son « nez de clown » et sa rosette apparente, s’adapte à « ses rides de joie » qui apparaissent tranquillement à quarante ans. Annie Landreville entretient une « relation ambigüe » avec sa bouche « ridiculement petite » pour sa grande gueule. Désire-t-elle l’échanger avec la « bouche trop grande » d’Alain Farah  (« Qui revient ? ») ?

Un homme portant un chandail long, bleu foncé, des jeans bleues et des souliers bruns se prend en photo dans un miroir autoroutier rectangulaire, entouré d'un encadré rayé noir et blanc. L'jomme se rient devant un bâtiment beige, au toit brun, qu'on voit derrière lui.
Selfie au téléobjectif, par le truchement d’un miroir routier. Photo de François Goglin.

Kevin Lambert (« Poils ») qui, enfant, partait dans des rêves de poils gigantesques, « épais comme des crayons », jaillissant de son corps, convoite maintenant de posséder « un corps doux et entièrement glabre ». David Bélanger (« Mes visages percés ») ne s’explique toujours pas pourquoi ses poils sur le menton « refuse[nt] de se solidifier en barbe ».

Karoline Georges (« Tabula facia ») nous dévoile son troisième œil, empreinte d’une collision, sculpté par un éclat de verre. Kaliane Ung se donne des airs de « rongeur à gyrophares » en ajustant ses imposantes lunettes. Kiev Renaud (« Fenêtres ») cesse plutôt de remarquer les cadres de ses verres « à force de les porter ».

On s’interroge également sur cette persistance des airs de famille. Ayavi Lake (« Loulou ») repère des traces de toutes ces femmes (sa grand-mère, son arrière grand-mère) qu’elle n’a connues que « tardivement ». Louise-Amada D (« Enceinte ») se questionne sur sa part d’elle-même qu’elle va transmettre à l’être qui grandit dans son corps.

On examine, songeur·se, son portrait de petite fille ou de petit garçon. Gabrielle Boulianne-Tremblay (« Une usine de larmes et de rêves ») cherche à comprendre « à quel point nous étions impitoyables avec nous-mêmes ». Martine Chumova commente « qu’adolescente, j’ai passé des jours à me torturer pour des détails anatomiques ». Une photo de passeport, réalisée en pleine canicule par Karianne Trudeau Beaunoyer (« L’art de l’embaumement »), transmet une image encore plus cruelle : « je suis un cadavre en train de vivre, de mon vivant, un embaumement ».

D’autres, par contre, se questionnent sur la perception que les autres ont de nous, à l’instar de Catherine Leroux (« Faire surface ») : « les autres sont-ils mieux aptes à révéler notre visage ? ». Peut-on faire confiance au jugement d’autrui ?

On n’échappe pas, dans ce lot de « selfies », à cette réflexion éternelle sur l’étrangeté de soi. Alex Viens  (« Irisation ») nous conte que « dans le flottement des tissus, j’apprivoise l’étrangeté de mon corps immature »; Raïssa Yamali (« Être à soi ») nous confie : « je l’ai  saisi ce corps (…).  Il est mien et étranger à la fois ».

Qui suis-je, donc ? Anne-Marie Desmeules (« Chouette ou effraie ») parvient à jongler avec cette incertitude : « Mon apparence est une marguerite que j’effeuille, autant de masques qui, sitôt tombés, en laissent paraître d’autres (…), en dessous du visage, le corps n’apporte pas de résolution à l’énigme (…), rien ne me permet de dire pour de bon : ‘Oui, c’est moi.  C’est bien moi.’ Et pourtant cela tient, cela continue de tenir. »

Il est moi et il n’est pas moi, cet être cloîtré dans le miroir, m’observant dans la salle de bain.

– Christian Vachon (Pantoute), 26 novembre 2023

Littérature québécoise

Selfies : Autoportraits d'enfants du siècle

Collectif dirigé par Kiev Renaud. Illustrations de Kaël Mercader. - Cheval d'août

Difficile de se décrire sans verser dans les stéréotypes. Ce collectif illustré rassemble trente auteurices brossant leur portrait dans la joie, le doute ou l’autodérision, loin des figures obligées. Selfies ausculte la rosette de Simon Boulerice et la pilosité de Kevin Lambert, dévoile le troisième oeil de Karoline Georges et épluche l’héritage génétique de Katia Belkhodja. Ses autoportraits baroques se jouent des clichés et jonglent avec l’impossible image de soi.

Un livre piloté par Kiev Renaud, avec des illustrations de Kaël Mercader.

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