Quand bière se disait Dow au Québec

Christian Vachon - 30 décembre 2020

Pour les cinquante ans et plus, Dow est synonyme de « la bière qui tue ».  Elle fut, pourtant, jusqu’au milieu des années soixante, la bière qui plut le plus au Québec.

Deux passionnés d’histoire, Paul-Yvon Charlebois et Sylvain Daignault, nous content la montée et le déclin, devenu mythique, de cette marque de bière, au XXe siècle, dans La brasserie Dow tome 2 : La chute, publié chez GID, cet automne 2020, un tour d’horizon des plus instructifs, et concis, de l’industrie brassicole canadienne du siècle dernier.

Concluant le tome 1 : L’ascension, de leur Brasserie Dow, par la fusion, en 1909, de cette entreprise (propriété, depuis 1834,  de la famille Dow), avec six entités, pour fonder la National Breweries Limited, le duo d’auteurs Charlebois et Daignault nous retracent, maintenant, la destinée de cette nouvelle unité.

Sous la direction dynamique des frères Dawes (ils sont les premiers, dans les années quarante, à mettre sur le marché canadien des canettes), la National Breweries va absorber d’autres entreprises, dont les brasseries Frontenac, à Montréal, et Champlain, à Québec, avant d’être finalement achetée, en 1952, pour plusieurs millions de dollars, par la Canadian Breweries Limited (propriété de E.P. Taylor, puis de George Montigu Black II, le père de Conrad) qui, elle-aussi, parvient de son côté à regrouper plusieurs firmes brassicoles en Ontario, dont Carling Brewing et la brasserie O’Keefe.

Tous les efforts de cette grosse entreprise se concentrent maintenant sur la mise en marché d’une seule marque « d’ale » : la Dow. La Canadian BrewerIes modernise même les établissements de la Dow Brewery, dans le quartier montréalais de Griffintown, où se concentre 70% de la production de cette énorme brasserie.

Pourquoi cette vogue de fusions ?  Pour éviter une guerre de prix, abaisser les coûts de production et de distribution en réduisant le nombre de marques.  Une commission gouvernementale canadienne va même s’inquiéter de ces pratiques, nuisibles aux intérêts des consommateurs, sans parvenir toutefois, à la fin des années cinquante, à prouver que la Canadian Breweries constituait un véritable monopole, la brasserie profitant, alors, d’un manque de clarté de la législation sur les coalitions.

Face à la Dow, il y a, d’ailleurs, la Molson, et c’est, depuis le début des années cinquante, une guerre ouverte au Québec et en Ontario, une guerre où on fait usage d’une arme performante : le marketing.

Paul-Yvon Charlebois et Sylvain Daignault nous présentent, à l’aide de réclames tirées de journaux du début du siècle, comment on fait déjà preuve d’imagination dans ce métier :  un Dow prédisposant à un « sommeil réparateur », en 1910, une Frontenac, en 1915, s’adressant aux femmes et aux jeunes filles, car « elle combat la maigreur ».  La guerre publicitaire, toutefois, s’étend, dès les années cinquante, s’étend sur un terrain plus vaste que la presse papier.  En 1954, uniquement, Dow Brewery consacre la plus grosse partie de son budget promotionnel (se montant, le 31 octobre, 3,2 millions de dollars) à la radio et à la télévision).

Molson soutenant le hockey, Dow devient alors le commanditaire principal de la lutte professionnelle, puis, à partir de 1957, de L’heure des quilles (un choix payant : plus de 500 000 exemplaires du Manuel des quilleurs de Dow trouveront preneurs, uniquement en 1962) à la télévision de Radio-Canada. Son slogan « Dites-donc Dow ! » est connu de tous. La clientèle est au rendez-vous. La brasserie gruge tranquillement les parts de marché de Molson au Québec.

Dow s’attire bien d’autres sympathies en construisant, face à sa brasserie, à Montréal, le premier planétarium au Canada (inauguré en 1966), un cadeau, au public, de l’entreprise dans le cadre du centenaire de la Confédération.

Le moral est donc au beau fixe, jusqu’à cette tourmente du milieu des années soixante.

Entre août 1965 et avril 1966, 48 patient.e.s se présentent dans les hôpitaux de la région de Québec, souffrant d’une cardiomyopathie inhabituelle. Quarante-six d’entre eux sont des hommes, et de gros buveurs de bière (36 patients consomment même plus de 6 litres par jour). Et quelle bière boivent-ils ? De la Dow, qui, à l’époque, contrôle près de 85% du marché dans la région de Québec, et à l’est de la capitale. Une quinzaine vont décéder.

Des spécialistes, les docteurs Mercier, Tétu et Yves Morin (ce dernier va raconter son expérience, en 2011, dans un récit romancé fort captivant Les cœurs tigrés, édité chez Septentrion), vont déduire un lien épidémiologique possible avec la consommation de bière Dow.

La cause :  constatant que les buveurs de Québec, plus qu’ailleurs, apprécient les cols mousseux, la brasserie Dow a sans doute ajouté un enzyme, du sulfate de cobalt, dommageable pour le cœur, en quantité dix fois supérieure dans sa production de Québec que dans ses autres brasseries, pour favoriser la stabilité de la mousse.

La brasserie refuse d’accréditer les liens existant entre la consommation de la bière et les décès mystérieux. Mais impossible d’effacer cette étiquette : la Dow, c’est la bière qui tue. Le 18 octobre 1968, les activités de brassage et d’embouteillage cessent définitivement à Québec. Un demi-million de gallons de bière (une totalité de  390 000 caisses de bières) sont déversés dans les égouts. Hasard ?  Aucun nouveau cas de cardiomyopathie de buveurs de bière sera déclaré, par la suite, après cet arrêt de la production.

Fin de l’histoire de la Dow ?

Non, et on l’oublie trop souvent, la production de ce cette marque (perdant, toutefois, et à tout jamais, son lustre, remplacée, dans le cœur des Québécois, par la O’Keefe), va continuer, à Montréal, jusqu’en 1998, alors que Molson, acquéreur de Carling O’Keefe, dans une politique de « rationalisation des marques », va cesser d’offrir ce produit presque deux fois centenaire.

Des vestiges, matériels, de la brasserie Dow, un ancien entrepôt frigorifique, subsistent à Montréal, des vestiges datant des années 1860 que Paul-Yvon Charlebois et Sylvain Daignault souhaiteraient « mieux mis en valeur ».

Un autre héritage m’intrigue, un Cooking with Dow, une brochure gastronomique rédigée par la plus réputée des chefs cuisiniers québécois des années soixante : Jehane Benoît. Le passé mythique de la Dow n’est pas constitué uniquement de décès étranges.

Histoire

La brasserie Dow T.2 - La chute

Paul-Yvon Charlebois & Sylvain Daignault - GID

En 1909, plusieurs brasseurs de Montréal, mais aussi d'autres endroits au Québec, décident de fusionner certaines de leurs activités au sein d'une nouvelle entité, la National Breweries Limited, afin de réaliser ce que les économistes appellent aujourd'hui des économies d'échelle. Nous examinerons dans ce deuxième livre consacré à l'histoire de la Brasserie Dow l'évolution de la National Breweries Limited au cours de la première moitié du 20e siècle jusqu'à son achat par la Canadian Breweries, en 1952. Nous verrons les moyens employés pour convaincre les amateurs de bière de choisir leurs produits plutôt que ceux d'un autre, nommément les bières de la brasserie Molson. Nous tenterons de bien situer la place de la National Breweries Limited, puis de la Canadian Breweries Limited, dans la société québécoise.Nous examinerons également l'évolution du marketing qui passe, au cours de ce siècle, des journaux à la télévision. Puis, en terminant, nous reviendrons sur les curieux événements de 1966 qui plongeront la Brasserie Dow dans un épouvantable marasme, tempête qui aura finalement raison de cette entreprise.

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