Que commémorer au Québec et au Canada en 2024 : Un État qui s’étend et un commerce qui s’éteint

Christian Vachon - 22 janvier 2024

Fini les intermédiaires ! En 1674, il y a trois cent cinquante ans, le très absolu monarque Louis XIV supprime la compagnie des Indes occidentales et rattache l’Amérique française à son domaine royal. Bonne nouvelle ? On peut en douter. L’érudit Louis Gagnon publie un essai chez l’éditeur Septentrion en 2011, Louis XIV et le Canada : 1658-1674, dans lequel il nous rappelle que le souverain français se préoccupa plus d’assiéger les places fortes de ses voisins, en Europe, que de faire de la Nouvelle-France un État grandiose et viable.

L’Église, elle, voit grand au Nouveau Monde. En cette même année 1674, François de Laval, vicaire apostolique dans cette Amérique française depuis 1658, très catholique (il crée une vingtaine de paroisses), devient évêque du jour au lendemain avec la décision du pape Clément X de fonder le diocèse de Québec. Ce vaste domaine, incluant tout ce qui reste à explorer sur le continent nord-américain, s’étend de la baie d’Hudson aux bayous de la Louisiane. Doris Lamontagne rendit hommage à ce fervent chrétien canonisé en 2014 avec son Prier 15 jours avec François de Laval : Évêque missionnaire de France, premier évêque de Québec (éditions Nouvelle Cité, 2007).

Explorer, convertir, étendre le plus loin possible la présence française et catholique à l’intérieur de l’Amérique du Nord : ils sont encore très nombreux à exercer ces missions en 1674, notamment ce Jésuite, le père Marquette. Au mois d’octobre de cette année, il quitte la baie des Puants (Green Bay, dans l’actuel Wisconsin) pour répandre la parole du Christ chez les Illinois, un peuple autochtone vivant dans une région qui deviendra Chicago.

Les treize colonies anglaises d’Amérique jugent intolérable cet Acte de Québec (une menace à la religion protestante !) adopté en juillet 1774, cent ans plus tard, au parlement britannique, étendant le territoire de cette province catholique jusqu’à la vallée de l’Ohio. Cet arrêt politique, initié par un gouverneur Carleton soucieux de faire des habitants de la Province of Québec de loyaux sujets britanniques, révoque la proclamation royale de 1763 en rétablissant la liberté de croyance et met un frein à la politique d’assimilation. Ce décret aura donc pour effet pernicieux de pousser à la rébellion les habitants des colonies voisines.

Pénétrer plus facilement au cœur du continent et accélérer le développement : il va faciliter cela, cinquante ans plus tard, le canal Lachine, inauguré le 24 août 1824. Avec ses sept écluses, s’étendant sur 13,4 kilomètres, traversant le sud-ouest de Montréal du lac Saint-Louis jusqu’au Vieux-Port, le canal permet de surmonter les redoutables obstacles à la navigation que sont les rapides de Lachine – il ne suffit que de les contourner ! L’ouverture de la Voie maritime à la fin des années cinquante va rendre désuet ce canal transformé, depuis, en parc linéaire.

La grande région de Montréal s’industrialise donc au milieu du XIXe siècle. L’argent circule. Les transactions de titres bancaires ou de chemins de fer se multiplient. Une bourse est créée en 1874, la Bourse de Montréal, la première et la plus ancienne du Canada. Elle fusionne avec celle de Toronto en 2007.

Les Orangistes ontariens, ces loyaux supporteurs de l’Empire et du protestantisme, sont furieux en cette même année 1874. Ce Louis Riel assassin, leader des métis catholiques et français de l’Ouest, est non seulement de retour d’exil, mais il ose même se présenter et se faire élire au Parlement lors d’une élection générale. Une motion déposée par le très intolérable protestant Mackenzie Bowell l’expulse de la Chambre des députés. On n’espère plus qu’un autre incident, un nouvel acte de rébellion par exemple, permette d’en finir définitivement avec lui.

Cinquante ans plus tard, un 1er avril 1924, l’attention se tourne vers le ciel avec la création de l’Aviation royale du Canada. Les débuts sont toutefois fort modestes : deux ou trois hydravions à coques, des pilotes de brousse en uniforme qui n’ont rien de martiaux chargés de surveiller les incendies de forêts, de patrouiller les zones de pêche et de cartographier le pays.

Une photo en noir et blanc montre un hydravion posé sur un petit quai devant une multitude de bâtiments carrés, en bord d'eau.
L’hydravion Burgess-Dunne, premier aéronef militaire canadien (1914)

« Pas de gel des prix et des salaires ! » : c’est à cela que s’engage le chef libéral Pierre Elliott Trudeau, dénonçant la promesse de son adversaire conservateur, Robert Stanfield, d’introduire un système de contrôle économique. Trudeau parvient ainsi à se faire réélire premier ministre du Canada avec triomphe (43% des suffrages, un gouvernement majoritaire avec ses 141 sièges : une hausse de 32) il y a cinquante ans, le 8 juillet 1974. Un an plus tard, en 1975, il établit lui-même une première de l’histoire canadienne par son Conseil anti-inflation : son propre système de contrôle des prix et salaires.

« Ils doivent comprendre que nous sommes les boss ! » : à coups de bulldozers et de produits incendiaires, Duhamel et sa bande de fiers à bras consacrent le monopole syndical de la FTQ sur les lieux, en saccageant le chantier de construction du barrage LG2 un 27 mars de cette même année 1974. Les dégâts vont atteindre les coûts de 31 millions de dollars. La commission Cliche, chargée de faire la lumière sur cet événement, dénonce cette opération « menée par une bande de mécréants » dans son rapport publié en 1975. Les poursuites engagées contre la FTQ sont toutefois abandonnées en 1979 en échange d’une compensation de 200 000 dollars.

On espère, en cette même année 1974, mettre un terme à un autre type d’agitation sociale, une guerre linguistique frappant le Québec depuis la fin des années soixante, avec l’adoption de la loi 22  qui fait du français la langue de l’administration et des services, de même que la langue du travail. Le gouvernement libéral de Robert Bourassa mécontente finalement tout le monde : le projet est jugé trop timide par les francophones et trop injuste par les groupes ethniques et les anglophones, par ses tests imposés pour autoriser l’accès à l’enseignement en anglais. Les querelles linguistiques s’enveniment. Bourassa espère les trancher définitivement en déclenchant des élections anticipées pour le 15 novembre 1976. Mauvais calcul.

Surtout qu’en cette même année 1974, lors du congrès du Parti québécois, les deux tiers des participants entérinent la stratégie « étapiste » (« Pas d’indépendance sans référendum. Faisons-nous élire, d’abord, et prouvons que le parti va s’acquitter de ses responsabilités. ») proposée par son membre de l’exécutif Claude Morin. Cette stratégie va mener à l’élection du « bon gouvernement » péquiste en 1976. C’est cette même stratégie qui, suite au référendum perdu de 1980, fera accoler le titre de « traître » à son initiateur, comme en fait foi ce Claude Morin, un espion au sein du Parti québécois de Pierre Dubuc, paru aux éditions du Renouveau québécois l’an dernier.

Il y a aussi une île, une très grosse île à vendre, en ce début d’année 1974. Cette île est baptisée Anticosti. Le gouvernement fédéral souhaite l’acheter à son propriétaire, la Consolidated Bathurst.  Le « boss » de l’entreprise, Paul Desmarais, n’est pas trop à l’aise de s’en départir aux gens d’Ottawa. Il va en informer discrètement son ami Robert Bourassa qui, imaginant un stratagème, va exproprier l’île au mois de décembre. Le coût de tout cela ? 23 millions de dollars. « Mangeux de hot-dogs ! », réplique Pierre Elliott Trudeau, fort déplu du tour de passe-passe du premier ministre québécois. L’île, devenue depuis une réserve faunique, est très bien mise en valeur dans cet Anticosti : 450 millions d’années de vie de Mathieu-Robert Sauvé, publié aux éditions du Journal l’automne dernier.

Vingt-cinq ans plus tard, le 1er avril 1999, la confédération canadienne accueille un nouveau membre : le Nunavut. Ce territoire est né de la scission en deux du Territoire-du-Nord-Ouest. Après plus de trente ans de démarches, le leader inuit John Amagoalik atteint enfin son but : permettre à sa communauté d’acquérir l’autonomie gouvernementale.

Alors qu’une vaste territoire surgit en 1999, une grande entreprise étendue d’un océan à l’autre du Canada s’éteint, il a vingt-cinq ans. La chaîne Eaton, sous la protection de la loi de la faillite depuis 1977, annonce la fermeture définitive de ses 64 succursales, mettant au chômage plus de 13 000 employés. C’est la fin, après 130 ans, de la fière aventure commerciale lancée par Timothy Eaton et de son « satisfaction garantie ou argent remis ». Il lègue, entre autres, un certain art de vivre : le restaurant du 9e étage de l’édifice Eaton, bâti à Montréal en 1925, où les dîneurs conversaient dans un éclatant environnement Art Déco, a été classé monument historique en 2000.

– Christian Vachon (Pantoute), 21 janvier 2024

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