Que commémorer, dans le monde, en 2021 ? D’abord, bien sûr, le bicentenaire de la mort (d’un cancer de l’estomac ? d’un empoisonnement à l’arsenic ? à vous de choisir), sur une île perdue de l’Atlantique, d’un général, petit de taille, mais majestueux de caractère. Les éditions Atlas, dans le cadre de cet anniversaire, nous retracent, à l’aide de cartes et de commentaires, les péripéties de personnage turbulent et impérieux, dans une nouvelle édition augmentée de leur Grand atlas de Napoléon.
La nouvelle de son décès, le 5 mai 1821, diffusée soixante jours plus tard, en Angleterre, et ailleurs en Europe, est accueillie, nous rappelle l’historien français Thierry Lentz, dans son Bonaparte n’est plus…, paru, en 2019, aux éditions Perrin, un peu dans l’indifférence : «l’Europe a quasiment oublié celui qui l’a tant inquiétée ». L’homme Bonaparte s’éteint, mais le mythe Napoléon, avec la publication, deux ans plus tard, en 1823, du Mémorial d’Emmanuel de Las Cases, ne tarde pas à revivre.
Le violent mouvement insurrectionnel de la Commune de Paris (du 18 mars au 28 mai 1871) suscite encore, cent cinquante ans plus tard, une effervescence éditoriale avec la publication, cette année, de fictions (Marx à Paris, 1871 : le cahier bleu de Jenny, de Michael Lévy et Olivier Besancenot, au Temps des cerises ; Josée Meunier, 19 rue des Juifs, de Michèle Audin, à L’Arbalète ;…), de témoignages (Témoigner pour Paris : récits du siège et de la Commune (1870-1871), chez Kimé ; Nathalie Le Mel : une Bretonne sous la Commune, d’Eugène Kerbaul, au Temps des cerises : Léo Frankel, communard sans frontières, de Julien Chuzeville, chez Libertalia ;…), ou d’études (Commun-Commune : penser la Commune de Paris (1871), de Jean-François Dupeyron, chez Kimé ;…), mais j’applaudis tout particulièrement cette réédition, chez Casterman, du Cri du peuple, de Jacques Tardi et Jean Vautrin, splendide bande dessinée qui nous fait revivre, avec justesse et délicatesse, tout les espoirs et égarements de l’expérience communarde.
Le traité de Riga, il y a cent ans, le 18 mars 1921, met un terme, après deux ans de combats, à la guerre soviéto-polonaise. On peut parler d’un match nul : chacun des belligérants conservant leurs morceaux de Biélorussie et d’Ukraine déjà en leurs possessions. Un rare témoignage, en français, sur ce conflit, nous est disponible, depuis 2010, chez l’Harmattan : Sur les fronts de guerres méconnues : Pologne 1918-1921, mémoires d’une femme médecin de bataillon, de Maria Zdziarska-Zaleska.
Soucieux, eux-aussi, comme la polonaise Zdziarska-Zaleska, de soulager plus efficacement les souffrances des populations, revendiquant, surtout, le droit des victimes à la neutralité lors de luttes armées, des praticiens volontaires, comme le Français Bernard Kouchner, déçus de la complicité de la Croix-Rouge avec l’État nigérian, lors de la guerre du Biafra, s’unissent, il y a cinquante ans, le 21 décembre 1971, pour fonder l’organisme Médecins sans frontières. Le Vocation médecin, de Jean-Claude Lefebvre, publié l’an dernier, à la Manufacture de livres, nous expose les défis quotidiens d’un travailleur humanitaire, dans un payx en guerre comme la Syrie, dans les années 2010.
Un autre homme engagé, il y a cinq cent ans, à bien des difficultés, lui-aussi, à accomplir sa mission. Excommunié par l’Église catholique, et refusant de se rétracter, Martin Luther se fait mettre au ban de l’Empire romain germanique, le 26 mai 1521 , par un édit de l’empereur Charles Quint prononcé à la Diète de Worms. Fin de l’histoire ? Loin de là. Les princes allemands, voyant un intérêt profitable à cette doctrine religieuse revendiquée par Luther qui, sans défaire l’ordre social, leur permet de récupérer l’énorme potentiel foncier ecclésiastique de l’Empire (1/3 du sol allemand), vont « protester » contre son exclusion et, en 1555, à Augsbourg, faire reconnaître, finalement, ce « luthérianisme ». Les deux tiers de l’Allemagne vont, alors, passer au protestantisme. Le parcours longtemps désabusé, mais à la destinée inconcevable, du prêcheur nous est décortiqué dans cette biographie, Martin Luther, faisant toujours autorité, de l’historien Lucien Febvre, rééditée à quatre reprises depuis sa première parution, en 1928, et toujours disponible, aux P.U.F., dans la collection « Quadrige ».
En cette même année 1521, il y a cinq cent ans, à l’autre bout du monde, une autre quête s’interrompt, cette fois-ci définitivement, celle du navigateur Fernand de Magellan. Il meurt, le 27 avril, sur une île des Philippines actuelles, d’une flèche empoisonnée, tirée par un « indigène », deux ans après le début de sa « circumnavigation ». Les survivants de son équipage vont achever, l’année suivante, son tour du monde. En 1938, le réputé écrivain Stefan Zweig, fasciné par les aspirations de ce « voyageur impénitent », a publié un portrait de l’explorateur Magellan : l’homme et son exploit, réédité tout récemment, en 2020, chez Robert Laffont.
Un autre aventurier, trois cents ans plus tard, le général sud-américain José de San Martin, connait, lui, le succès de son vivant, en proclamant, le 28 juillet 1821, l’indépendance du Pérou. La vie de ce « libertador », « frère » amer de Bolivar (des mésententes, entre eux, vont mener au morcellement de l’Amérique latin) est contée, aux éditions du Jasmin, dans un San Martin, à rebours des conquistadors, de Denise Anne Clavilier, s’adressant aux adolescents, et un San Martin par lui-même et par ses contemporains, destiné à un lectorat adulte.
Le Mexique, lui-aussi, cette même année 1821, en février, parvient à assurer son indépendance. Drôle d’État libre. Le franchement opportuniste Augustin de Iturbide, un envoyé du gouvernement espagnol ralliant, l’année précédent –il y voyait une occasion d’enrichissement et d’avancement- les insurgés qu’il devait mâter, réussit ce tour de force : satisfaire les « criollos » (les descendants d’Espagnols nés au Mexique) et le clergé en préservant le mode colonial, et son système de caste, sans l’Espagne. Il obtient sa récompense, devenant empereur du Mexique l’année suivant, mais il doit déjà faire face à un homme plus ambitieux que lui : Antonio Lopez de Santa Anna.
Il y a cent ans, le traité anglo-irlandais de décembre 1921 confirme l’existence de l’État libre d’Irlande, aboutissement d’une rude et épuisante campagne de guérilla menée depuis janvier 1919. Ce n’est pas le type d’indépendance (les six comtés, majoritairement protestants, du nord de l’île restent au sein du Royaume-Uni) souhaité par une partie de l’IRA. Une guerre civile va s’en suivre. Le leader irlandais Michael Collins, l’homme qui, par soucis de sortir de l’impasse, a accepter de « pactiser » avec les Anglais, va, le 9 août 1922, y laisser sa vie. Pierre Joannon nous narre la vie de cet homme, héros pour certains, démon pour d’autres, dans Michael Collins, une biographie, publié, en 2017, dans la collection « La petite Vermillon » de La Table ronde.
Cinquante ans plus tard, en 1971, dans un climat encore plus tragique et violent –plus de trois millions de morts-, un autre coin du monde, le Bangladesh, obtient sa souveraineté. Se sentant ignorés, depuis la Partition de 1949, par la partie occidentale, mécontents, surtout, du manque d’aide aux lendemains du cyclone dévastateur de novembre 1970, les Bengalis, regroupés au sein du Mukti Bahini, proclament, le 25 mars, l’indépendance du territoire connu, alors, sous le nom de Pakistan oriental. C’est le début d’une guérilla menant à une répression terrible. Plus de dix millions de Bengalis se réfugient en Inde, forçant celle-ci, au mois de décembre, à intervenir militairement. La troisième guerre indo-pakistanaise se conclut par la reconnaissance du nouveau pays. Né dans des circonstances douloureuses (le Un si long voyage du romancier Rohinton Mistry, l’auteur du si apprécié Équilibre du monde, nous plonge, vu de Bombay, dans ce contexte tumultueux de 1971), le Bangladesh n’en conserve pas les cicatrices, et s’en tire étonnamment mieux que le Pakistan.
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