En 2024, bien sûr, c’est l’année Kafka. Le stress et la tuberculose finirent par avoir raison, le 3 juin 1924, de l’auteur tourmenté du Procès et de La métamorphose. Son minutieux Journal intime de plus de 270 pages va être réédité, cette année, dans la « Petite bibliothèque » de l’éditeur Rivages, tandis que, chez Flammarion, Geoffroy Lagasnerie conseille tout particulièrement aux bureaucrates de Se méfier de Kafka.
Pourquoi ne pas célébrer aussi l’année Franquin en 2024 ? C’était, le 3 janvier de cette année, le centième anniversaire de naissance de l’illustre illustrateur belge, décédé en 1997, le père du Marsupilami et de Gaston Lagaffe. Cet éternel insatisfait, adepte de la déprime, conte entre autres son cheminement menant à la création de son ultime chef d’œuvre : la soixantaine de gags morbides des Idées noires. Ces confessions sont faites à Numa Sadoul dans Et Franquin créa la gaffe (de longs entretiens parus en 1986 et réédité chez Glénat en 2022).
Soulignons également le cinq centième anniversaire de naissance d’une des doyennes des poétesses Louise Labbé (ou Labé), née en 1524 et morte en 1566. Ses Œuvres firent l’objet d’une étude destinée à un lectorat collégial en 2023, chez Atlande. Si le livre est disponible chez nos cousins français, nous en attendons toujours la publication de ce côté-ci de l’Atlantique.
En cette même année 1524, naissait aussi, à Vendôme en France, un autre chantre bien estimé, le « Prince des poètes et poète des princes » : Pierre de Ronsard, mort en 1585. Gallimard signale dans sa Bibliothèque de la Pléiade ce cinq centième anniversaire, par le lancement d’un Coffret Ronsard regroupant, en deux volumes, son œuvre poétique. C’est une sortie attendue en 2024 !
Trois cents ans plus tard, un 27 juillet 1824, venait au monde Alexandre Dumas fils, fruit d’une brève passion tumultueuse entre un jeune écrivain ambitieux et jouisseur et sa voisine de palier (le père reconnu son enfant naturel en 1831). Il décéda en 1895, en nous léguant son très réputé roman mélancolique La dame aux camélias.
Un Jardin d’Épicure (La Part commune) et un Ainsi parlait Anatole France (Arfuyen) nous font redécouvrir la carrière et l’œuvre de cet écrivain anticonformiste, humaniste et engagé. Né en 1844 à Paris, heureux prix Nobel de littérature en 1921, on commémorera le centième anniversaire de sa mort le 12 octobre 1924 : Irvin D. Yalom.
Cinquante ans plus tard, décédait un saltimbanque de la tendresse et du loufoque : Marcel Pagnol, estimé créateur de la trilogie marseillaise (César, Marius, Fanny) et du diptyque Jean de Florette et Manon des sources, entre autres. Refaisons connaissance avec son chaleureux univers, dans le cadre de ce cinquantième anniversaire, en nous replongeant dans cet Albert Dubout illustre Marcel Pagnol (plus de 130 dessins, fruits de la belle complicité entre l’illustrateur et l’écrivain) publié chez Bamboo dans sa collection Grand Angle en 2023.
Un 19 décembre 1924, à Paris, naissait Michel Tournier, auteur de cette fine relecture du mythe de Robinson, Vendredi et les limbes du Pacifique. Dans Contrebandier de la philosophie, un recueil de sept conférences données entre 1994 et 2004, édité chez Gallimard dans sa collection Arcades en 2021, l’auteur du Roi des aulnes témoigne de son idéal de littérature, amalgame de réalisme et de magie célébrant la vie.
En 1674, il y a trois cent cinquante ans, décédait de l’autre côté de la Manche un autre génie de la littérature, John Milton, également apte à mener une réflexion philosophique à travers son œuvre. Ses deux grandes épopées poétiques, les Paradis perdu et Paradis reconquis, sont des méditations sur la prédestination, la révolte, le libre-arbitre et le salut. Les deux livres ont tout récemment été rééditées aux Belles Lettres.
Poète engagé, poète révolté, il l’était plus que tout autre ce Lord Byron qui décéda d’une fièvre des marais le 19 avril 1874, dans cette Grèce qu’il souhaitait libérer de l’oppresseur turc. Né en 1788, ce jeune homme excessif, tant dans sa vie romantique que dans ses opinions politiques, symbolisa un des premiers adeptes de cette philosophie du Live Fast, Die Young.
Toute aussi vibrante était la personnalité de Gertrude Stein, cette juive américaine, pionnière du féminisme. Née le 3 février 1874 à Alleghany West, en Pennsylvanie, et morte en 1946, elle aura marqué les esprits. De Paris, où elle tint un salon dès le début du XXe siècle (Gertrude Stein et Pablo Picasso : l’invention du langage, publié chez Connaissance des arts en 2023, en témoigne), elle contribua à la diffusion du cubisme. Un Ida, paru aussi en 2023, chez Cambourakis cette fois, reflet de ses amours avec Alice B. Toklas, nous fait également apprécier la Gertrude Stein écrivaine passionnée.
Un autre activiste américain, James Arthur Baldwin, né le 2 août 1924 à Harlem, livra aussi ses discours et combats de France. Dans sa Dernière interview : Saint-Paul-de-Vence, novembre 1987 (il décèdera quelques jours plus tard, le 1er décembre, d’un cancer du poumon), publié aux éditions du Portrait en 2021, l’auteur de The Fire Next Time se confia sur ses relations avec Miles Davis et Toni Morrison, tout en critiquant la situation des Afro-Américains aux États-Unis, nous rappelant le fardeau social et psychologique que cela pouvait représenter d’être Noir et d’être gay dans une société blanche et judéo-chrétienne.
Dénoncer l’hypocrisie de la vie morale américaine, il s’en fit également son fer de lance Truman Capote, né le 30 septembre 1924 à la Nouvelle-Orléans et décédé en 1984. Il devient tout de même, dès la fin des années cinquante, une vedette de la vie mondaine newyorkaise. Tant son rude De Sang-froid que son délicat Petit déjeuner chez Tiffany méritent d’être lus et relus.
Sophie Rostopchine, dite la « comtesse de Ségur », nous livra quant à elle une œuvre morale, nullement scandaleuse. Décédée un 9 février à Paris, il y aura cent cinquante ans, elle inaugura la célèbre Bibliothèque rose de l’éditeur Louis Hachette dans les années 1860 avec Les malheurs de Sophie et Les petites filles modèles. Gertrude Dordor, dans son Comtesse de Ségur : une aristocrate russe en France, paru chez Mame en 2023, narre aux jeunes lecteurs comment cette femme, née en 1799 à Saint-Pétersbourg, suivra son père dans son exil en France en 1817 et se trouva, par la suite, une vocation tardive d’écrivaine : elle a commencé à écrire à cinquante ans !
Il ne décrivait absolument pas, dans ses délires graphiques, une vie en rose, l’illustrateur américain Jack Davis. On célèbrera, le 2 décembre 2024, le centième anniversaire de sa naissance, à Atlanta en Géorgie. Nous nous rappelons de lui pour ses Tales From the Crypt des années cinquante. Il ravit aussi par son trait éblouissant les milliers de lecteurs de la revue MAD, avec ses parodies dégoulinantes d’humour de Terminator, The Goonies et d’autres films d’horreur et d’aventures.
N’oublions surtout pas de célébrer le trois centième anniversaire de naissance, un 22 avril 1724 à Königsberg (dans l’ancienne Prusse orientale), de cet éminent philosophe Emmanuel Kant en 2024 ! Il est le premier à exercer un enseignement universitaire régulier. Son judicieux La raison pure est réédité aux PUF cette année, dans le cadre de cet anniversaire, dans la prestigieuse collection Quadrige, tout comme son aussi essentiel Jugement esthétique. Mentionnons qu’une Critique de la raison pure, paru chez Kurokawa en 2023, vulgarise ses écrits de « façon ludique » à travers « l’histoire d’amour entre un homme et une femme androïde ».
Esprit clairvoyant, par sa dénonciation des dérives intellectuelles menant au totalitarisme dans les années soixante-dix, il l’était le journaliste et essayiste Jean-François Revel, mort en 2006. Il était porteur, par ses écrits, du flambeau du libéralisme notamment dans son remarquable Ni Marx, ni Jésus. On célèbrera le centième anniversaire de sa naissance, un 19 janvier à Marseille, sous peu. Un Festin en paroles : histoire littéraire de la sensibilité gastronomique de l’Antiquité à nos jours, édité chez Tallandier dans sa collection « Texto » en 2021, nous rappelle toutefois que ce polémiste, père de Matthieu Ricard, était aussi un fervent épicurien.
Il nous aura gavé tout au cours de sa vie, non d’écrits ou de paroles, mais de musique, le créatif pianiste et jazzman américain Duke Ellington, mort le 24 mai 1974 d’un cancer du poumon. Ce fils de majordome, né un 29 avril 1899 à Washington, nous contait comment, avec son orchestre, il fit des années quarante un véritable âge d’or du Big Band. Nous pouvons lire ses pensées dans Music is my Mistress : mémoires inédits, réédité chez Slatkine & Cie en 2016.
Ne tirons pas sur lui, mais célébrons plutôt les cent ans de la naissance, à Paris un 22 mai 1924, cet autre pianiste et compositeur (et chanteur, de surcroît) Charles Aznavour. Il est le fils d’un Arménien dénommé Aznavourian, réfugié en France. Ce prolifique artiste, qui écrivit et enregistra plus de mille chansons (et tourna dans plus de soixante long métrages) et dont le passage au Québec à la fin des années quarante fut un tournant dans sa carrière, souhaita retrouver, en militant qu’il était, sa nationalité arménienne en 2008, dix ans avant sa mort.
Notons enfin, en 2024, le centenaire d’une autre naissance, le 13 septembre 1924 en France, d’un mémorable compositeur, décédé en 2009 : Maurice Jarre. Les airs tant grandioses que romantiques qu’il imagina pour les chefs-d’œuvre de David Lean (Lawrence d’Arabie, Le Docteur Jivago), tout particulièrement sa mélodie de Lara, seront à jamais dans notre mémoire musicale.
– Christian Vachon (Pantoute), 7 janvier 2024
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