Personnage notoire, et controversé, de notre histoire que ce Louis-Joseph Papineau, héros ambigu de la rébellion des Patriotes de la fin des années 1830 (il déguerpit aux États-Unis au moment où la révolte, bien mal avisée, tourne court), dont nous commémorons cette année 2021, le 23 septembre, le cent cinquantième anniversaire de son décès. Le chercheur Yvan Lamonde consacre sa carrière d’universitaire, à McGill, à tenter de cerner la pensée, parfois tortueuse, de cet avocat réformiste, « l’homme public le plus important de la première moitié du XIXe siècle québécois ». Dans Louis-Joseph Papineau : un demi-siècle de combats : Interventions publiques, un choix de textes de l’homme politique (publié, en édition abrégée, en 2019, chez Fides) qu’il présente, en collaboration avec Claude Larin, le professeur Lamonde souligne : « on a tiré Papineau de tant de côtés. Avec ces textes, on ne lui fera pas dire ceci ou cela ». En 2012, en compagnie de Jonathan Livernois, ils rédigent un Papineau : erreur sur la personne (édité chez Boréal) où ils démontrent que « contrairement à la croyance », le « républicain en quête de république » Papineau n’a jamais réclamé cette formule si britannique de gouvernement responsable, une méprise qui a « une incidence sur quelques blocages de la société québécoise, à moins qu’elle en soit plutôt une manifestation subreptice ». Dans Fais ce que dois, advienne que pourra : Papineau et l’idée de nationalité (publié, en 2015, chez Lux), Lamonde rappelle qu’avant d’être une question de langue ou de religion, la séparation de la métropole britannique « était d’abord pour Papineau une question de démocratie ». Enfin, dans son essai de 2018 Aux quatre chemins : Papineau, Parent, La Fontaine et le révolutionnaire Côté en 1837 et 1838 (Lux), l’historien des idées croise les discours complémentaires, ou opposés, du «Grand Libérateur » Papineau, du journaliste modéré de la « famille de Québec » Étienne Parent, du futur « contempteur » de Papineau Louis-Hyppolite La Fontaine, et de cette figure « plutôt rare » de révolutionnaire anticlérical, le docteur Cyrille-Hector-Octave Côté, les événements de 1837 et 1838 nous apparaissent, alors, dans toute leur ambivalence.
Compagnon d’étude, à la fin des années 1790, au Petit Séminaire de Québec, de Louis-Joseph Papineau, Philippe-Aubert de Gaspé (né, comme lui, en 1786, un le 30 octobre, et mort, lui-aussi, en 1871, il y a cent-cinquante ans donc, le 29 janvier) fut plutôt fort discret lors des « troubles » de 1837 et 1838 (en fait, le 29 mai 1838, il commence à purger sa peine d’emprisonnement pour dettes, il sera libéré qu’en 1841). Nous lui sommes, tout de même, fort redevables pour son Les anciens Canadiens, paru, pour la première fois, en 1863 (et régulièrement réédité, encore aujourd’hui, chez Boréal, dans sa collection « Compact », et dans la Bibliothèque Québécoise (BQ)), une des premières œuvres remarquables, avec L’influence d’un livre de son fils Philippe, de notre littérature québécoise. Dans La paix des braves : une lecture politique des Anciens Canadiens de Philippe Aubert de Gaspé (chez XYZ), l’essayiste Jacques Cardinal soulève d’ailleurs, en 2005, que le roman est aussi « une petite machine de guerre », une « réécriture de l’histoire de la Conquête qui consiste à restaurer l’honneur perdu des vaincus des plaines d’Abraham ».
On néglige, toutefois, trop souvent, cette suite réussie, ce « complément indispensable » aux Anciens Canadiens : les Mémoires de Philippe Aubert de Gaspé (disponible dans la Bibliothèque Québécoise), mélange de chroniques sociales, d’anecdotes de jeunesse, de récits folkloriques encore plus savoureux que le précédent (j’ai eu, il y a quelques années, énormément de plaisir à les parcourir). Les contributeurs (Marc-André Bernier, Claude La Charité, Bernard Andrès, et autres) à ce Philippe Aubert de Gaspé : mémorialiste, publié, en 2010, aux PUL, ont bien raison d’affirmer que le dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli, figure aussi éminente de notre passé que son contemporain Papineau, sert de passeur « entre l’Ancien et le Nouveau Monde, entre le Régime français et le Régime anglais, entre aristocrates et démocrates, entre la culture des élites et la culture populaire ».
Autre grand nom des lettres québécoise (L’amélanchier, Le ciel de Québec,…), Jacques Ferron naît, il y a cent ans, le 20 janvier 1921, à Louiseville. Le conteur à l’imagination foisonnante entame, à partir de 1946, une correspondance intime, qu’il poursuit toute sa vie durant (il meurt en 1985), avec sa sœur Madeleine, écrivaine elle-aussi (son autre sœur, Madeleine, sera une peintre réputée), et son beau-frère Robert Cliche. Les éditions Leméac ont tout récemment publié, en trois volumes (Une famille extraordinaire : correspondances 1 : 1946-1960, 2012 ; Le Québec n’est pas une île : correspondances 2 : 1961-1965, 2015 ; Le monde a-t-il fait la culbute ?: correspondances 3 : 1966-1985, 2019), ces passionnants, profonds, et au ton parfois désabusé, échanges épistolaires. La conférence inachevée : le pas de Gamelin et autres récits, disponible, depuis l’an dernier, en 2020, dans la Bibliothèque Québécoise, nous remémore également que le littérateur et militant Ferron (fondateur, dans les années 60, de l’iconoclaste Parti Rhinocéros) fut aussi, par sa formation et pratique, un médecin dévoué et expert, volontairement affecté, entre autres, en 1971, pendant quelques mois, à la salle des « femmes folles » de l’Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu de Montréal.
Cette même année 1971, il y a cinquante ans, le 29 novembre, le Québec plonge dans la stupeur en apprenant le décès soudain, d’une septicémie, de son amuseur préféré Olivier Guimond. Le comédien n’avait que cinquante-sept ans. Époustouflant représentant du monde, disparu depuis, du théâtre burlesque, Olivier (né Oliver, le 21 mai 1914, le prénom choisi par sa mère, anglophone, Effie MacDonald) « Ti-Zoune » Guimond est indiscutablement associé, chez notre génération des près de soixante ans et plus, à ce « Quo qua fa là là ! » du Basile Lebrun, de Cré Basile, et au « Lui y connait çà », pouce (et petite bouteille ronde) levé, des célèbres publicités Labatt des années 60. Un trophée Olivier-Guimond, remis annuellement, perpétue, tout de même, dans le milieu des humoristes québécois, le legs et le souvenir du génial bouffon.
La conférence inachevée
La folie occupe une place privilégiée dans l'univers de Jacques Ferron. C'est que le docteur avait travaillé seize mois (1970-1971) comme omnipraticien au sein de l'hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu de Montréal. Volontairement affecté à la salle Sainte-Rita, section réservée aux « femmes folles » où il avait, dit-il, son « ciel » et ses « quartiers », il a côtoyé des êtres dysfonctionnels et fantastiques qui se trouvaient à la limite des personnages de fiction. L'mmense conteur en lui a trouvé là une nourriture considérable qu'il transportera, avec une affection bienveillante, à travers toute son oeuvre. Ce recueil de quinze textes – récits, souvenirs, chroniques, choses vues et entendues – montre encore une fois comment la plume de l'intelligent docteur sert ici à saisir à bras le corps la misère et le malheur de vivre ainsi à l'écart du monde. La fêlure des femmes qu'il soigne pouvait-elle rejoindre la sienne propre? Personne n'a oublié que Nelligan, à qui, plus jeune, Jacques Ferron a déjà rendu visite, y a passé des années sombres entre folie et oubli. Le pas de Gamelin, le texte inaugural, très largement autobiographique, est pour plusieurs l'un des moments forts de toute son entreprise littéraire.
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