Il était une fois à Vanier, petit patelin près de la rivière Rideau, une dizaine de vieux radoteux nés entre 1918 et 1944 : une ancienne mairesse, un vétéran d’une compagnie de zouaves pontificaux, un curé devenu évêque en Papouasie. Ils aimaient se conter des histoires d’enfance, du temps où la ville s’appelait Eastview (« vue sur l’est du Parlement d’Ottawa ») en déjeunant ensemble. Des gens du Muséoparc Vanier ont profiter de ces occasions pour enregistrer leurs témoignages.
Ils ont rassemblés ces récits dans une attrayante brochure de plus de cent pages, supervisée par Yanick Labossière, et merveilleusement bien illustrée par Alena Krasnikova. Chroniques d’Eastview : recueil d’histoires orales de Vanier a été publié ce printemps 2023 aux éditions David. C’est un legs particulièrement précieux sur l’histoire et les combats méconnus des Franco-Ontariens.
Ces radoteux nous entraînent dans le Eastview d’autrefois, une ville « pas riche » (Raymond Hotte : « Tout le monde était pauvre et les femmes avaient pas d’ouvrage donc elle faisaient bien des petits ») où les maisons, avec les toilettes dans la cour, étaient pas isolées « trop trop »; où les commerces (le « cost of doing business ») fonctionnaient avec du crédit (« met ça sur le bill »); où le gros employeur du coin, la Dominion Bridge, un fabricant de structures d’acier, lègue en héritage d’imposants terrains contaminés. Mais tous ne souhaitaient vivre nulle part ailleurs.
Ils radotent sur ce temps où c’était « cinq cennes » pour se rendre en bus à Ottawa. Ils radotent sur ces parties de hockey, contre les séminaristes (on ne se ménageait pas les coups de coude), au parc Richelieu, le « joyau de Vanier ». Ils radotent sur les glissades dangereuses qu’ils osaient y entreprendre (« il y avait des arbres de chaque côté »).
Ils se remémorent leur enfance à l’eau bénite, ces rivalités entre les paroisses Saint-Charles et Notre-Dame-de-Lourdes : une Notre-Dame-de-Lourdes dont l’église (incendiée en 1973) était la réplique de la basilique de Lourdes, en France; une Notre-Dame-de-Lourdes qui va même reconstituer, en 1902, la grotte de Bernadette Soubirous, attirant elle aussi des pèlerins.
Ils évoquent le souvenir de ce curé Edmond Ducharme, arrivé à Eastview en 1931, un être « ne laissant personne indifférent » : misogyne (Rita Quéry : « C’était sévère, tu ne montrais pas deux pouces de trop »), autoritaire (Paul Crête : « Fallait aller à la messe de huit heures et quart » car « le curé Ducharme ne voulait pas avoir de jeunes aux autres messes »), mais, surtout, dynamique, encourageant l’établissement d’une caisse populaire, d’une école secondaire francophone et faisant changer de nombreux noms de rues (plus de cinquante) pour donner à Eastview un visage plus français.
Car c’est cette réalité d’un Eastview devenu bastion francophone en Ontario dont veulent surtout témoigner le club de vieux radoteux; d’un Eastview qui, suite à une proposition du comité de la Société Saint-Jean-Baptiste, va être rebaptisé Vanier (du nom du gouverneur-général Georges Vanier), le 1er janvier 1969, pour refléter le caractère francophone d’une municipalité en plein essor.
Dès 1926, une cellule de l’Ordre de Jacques-Cartier, une organisation secrète mieux connue sous le nom de la Patente et qui veille à l’avancement des francophones, est formée à Eastview par le curé Barrette et par Albert Ménard, fonctionnaire au ministère des Travaux publics (Edgard Tissot : « Il y avait un fond antisémite dans la Patente, mais ça, c’est tous les Canadiens français »).
Vanier fait surtout les manchettes à la fin des années 1990 pour son combat en faveur de la survie de l’hôpital Montfort, une institution fondée en 1953 par le curé Ducharme et la Congrégation des Filles de la Sagesse, pour que les gens d’Eastview et d’ailleurs puissent être soignés en français.
Le gouvernement ontarien de Mike Harris, en 1996, s’appuyant sur une politique de restructuration des services de santé et refusant de reconnaitre le caractère distinct et unique de l’hôpital Montfort, envisage sa fermeture. Grave erreur : il s’en prend à un symbole franco-ontarien.
Les francophones se mobilisent, menés par Gisèle Lalonde, ancienne maire de Vanier de 1985 à 1991. Personne ne souhaite l’avoir comme adversaire ! Lalonde : « C’était un hôpital où tout le monde allait […] Je pouvais presque pas dire non parce que j’avais toute l’expérience voulue. Alors j’ai été un an là, à crier là […] Il fallait que je parle toujours fort, et c’est ça. » Une décision de la cour d’appel de l’Ontario, en 2001, reconfirme le caractère « unique et distinct » de l’hôpital Montfort et assure sa pérennité.
Se soigner en français, ça reste possible en Ontario, mais travailler dans cette langue ? Cette même année 2001, la ville de Vanier, avec dix autres municipalités, fusionne avec Ottawa. On souhaite que la nouvelle grande ville devienne officiellement bilingue. La proposition est refusée.
Pouvoir radoter en français à l’ouest de l’Outaouais, demeure un combat.
– Christian Vachon (Pantoute), 6 août 2023
Chroniques d'Eastview
Durant plus de dix ans, l’équipe du Muséoparc Vanier a interviewé des gens qui ont grandi à Eastview, comme se nommait Vanier avant 1969, pour recueillir leurs histoires.
Ces témoignages présentent une réalité inédite de ce bastion francophone, tout en donnant accès à un patrimoine dont nous ne soupçonnions pas l’existence : les cercles sociaux et les associations, les sports d’hiver, la police et les pompiers, l’Ordre de Jacques-Cartier (la Patente), les écoles, les hôtels et les tavernes, les scouts et les guides, les grandes familles de Vanier. Sans compter le sauvetage de l’Hôpital Montfort, le grand héritage de Gisèle Lalonde et de ses fiers concitoyens et concitoyennes francophones.
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