Sacré feu !

Christian Vachon - 14 juillet 2022

                Feu : lueurs et fureurs, le voilà, enfin, le quatrième, et dernier, élément (après AirEau et Terre) exploré dans l’invitante collection « Archéologie du Québec » (publiée conjointement par les éditions de l’Homme et Pointe-à-Callières/cité d’archéologie et d’histoire de Montréal), un passionnant tour d’horizon, richement illustré, conduit par les experts Christian Gates St-Pierre et Yves Monette, de multiples et stupéfiantes trouvailles archéologiques des soixante dernières années – de quoi nous allumer –, léguées, depuis des millénaires, au Québec, par ce feu, ce si joli feu, ce si cruel feu, cet allié quotidien dont il faut se méfier.

                Le feu rassemble hommes et femmes, comme l’évoque le chapitre deux (« Le feu qui réunit »).  Une simple concentration de pierres signale l’existence d’un foyer, et lorsque s’alignent ceux-ci, comme sur le site Lanoraie, sur la rive nord du Saint-Laurent, on reconnait la présence d’une maison longue iroquoienne.

               On perfectionne toutes sortes de moyens, entre le XVIIe et le XIXe siècle, pour emmagasiner la chaleur du feu dit « nourricier », que ce soit par l’âtre, le poêle à carreaux, ou en fonte, des améliorations qui vont, comme les soulignent archéologues et historiens, modifier singulièrement l’utilisation de l’espace intérieur.

              Le feu, source de lumière, éclaire bien sûr, nous rappelle le troisième chapitre. Une lumière répandue par la chandelle, de suif ou de cire, le mode d’éclairage par excellence jusqu’au milieu du XIXe siècle, et ce chez tous les groupes sociaux. Au suif, on finira par préférer l’huile de baleine, qui dégage peu d’odeur.

            Le feu est source d’une révolution culinaire, celle de cuire la viande.  Le feu transforme, l’argile entre autres. Et les autochtones, les femmes surtout, vont développer un impressionnant savoir-faire en ce domaine, parant leurs poteries de décors d’une grande complexité ; un savoir-faire qui va s’évanouir avec l’arrivée, au XVIe siècle, des céramiques européennes et des chaudrons de cuivre.  Mais, pendant des siècles, ces poteries vont circuler, s’échanger à la grandeur du territoire québécois, et au-delà, permettant, grâce aux découvertes archéologiques, d’identifier, au premier quart du XVIIe siècle, les « principales routes commerciales des autochtones ».

         Le feu, dont les autochtones surent en faire un complice pour améliorer, en les chauffant, leurs outils, forge la matière, nous illustre le chapitre six.  Les Forges du Saint-Maurice, érigées, au début des années 1730, près d’un gisement de minerai de fer dans la région de Batiscan, sont à l’origine, lorsqu’on lance, au cours des années 1960, un programme de fouilles sur le site, du développement d’une expertise en archéologiques historiques dans le Québec francophone.

         Depuis des temps reculés, aussi, l’homme pratique la carbonisation du bois (nos populaires « briquettes ») pour alimenter des industries de toutes sortes.  Verre et goudron, chaux et mortier :  matériaux indispensables aux constructions humaines, naissent aussi du feu.

       Et le feu « stimule », nous instruit le chapitre sept. Des vestiges de loges de sudation sont retrouvés sur des sites wendats, innus, mikmags. Les autochtones aiment bien aussi pétuner, fumer des plantes, faire « tabagie », des activités domestiques qui font fureur (« tout un tabac »), dès le XVIIe siècle, chez les Européens. C’est grâce au calumet, plus qu’un outil de détente, que se forgent les alliances.

       Mais le feu est dualité.  Il est le bien et le mal, la « douceur et la torture », un « attribut de la propension de l’homme à l’agression » (chapitre huit : « le feu qui détruit »). Des pointes de flèches, de lances, près de lieux de pêches, témoignent de manifestations très anciennes de violence entre groupes de populations autochtones. Les vestiges d’une ferme du Cap-Tourmente, incendiée par les frères Kirke en 1635, lèvent aussi le voile sur les premières émergences, en terre d’Amérique, d’un conflit européen.

     Le feu a cette bien vilaine habitude de « dévorer tout » nous confirment ces traces de l’incendie des magasins du roi, à Québec, en 1713, ou ces vestiges d’une résidence du faubourg Saint-Roch rasée, une parmi 1 620 autres, par le grand brasier de 1845.

Le feu est parfois opportun, permettant d’effacer la mémoire d’une époque, d’y substituer « une nouvelle réalité architecturale et politique », comme vont savoir en profiter, au début du XIXe siècle, les gouvernants britanniques, après les incendies, supposément dévastateurs, du Château Saint-Louis, à Québec, et de l’hôtel particulier du marquis de Vaudreuil, à Montréal.

Le feu aime toutefois jouer des tours, préservant, tout en détruisant, transformant, par le phénomène de minéralisation, des matières organiques, en « écofacts carbonisés », telles ces graines retrouvées sur des sites de villages iroquoiens, des matières qui autrement ne se seraient par conservées dans les sols généralement acides du territoire québécois.

Nos archéologues parviennent même maintenant, comme sur le site de l’incendie du Parlement de Montréal, en 1849 (« quand la politique attise la révolte »), à redonner vie à des livres calcinés.

Il n’a pas fini de nous éclairer, le feu sacré des archéologues.

Essais québécois

Feu. Lueurs et fureurs

Christian Gates St-Pierre et Yves Monette - Les éditions de l'homme

Penser au feu, c'est voir danser les flammes d'un foyer près duquel on se réchauffe ou voir s'élever dans la nuit celles d'un incendie ravageur. Depuis que l'espèce humaine en a apprivoisé l'usage, le feu a été tout à la fois un allié indispensable et un destructeur acharné. C'est cette dualité, qui se manifeste depuis des millénaires sur le territoire québécois, que ce nouvel ouvrage explore et illustre à travers les multiples pouvoirs d'un élément insaisissable. Feu qui jaillit de la braise sous le souffle. Feu qui anime des mythes fondateurs, qui stimule l'esprit, qui préside aux rituels. Feu qui réunit, nourrit, éclaire. Feu des fours, des forges et des industries, qui transforme l'argile, le métal et tant d'autres matériaux encore. Feu des armes et des conflagrations, mais qui préserve aussi, parfois, ce qu'il a touché.

Un autre écho essentiel de la recherche archéologique en marche
au Québec.

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