Rêveries martiennes

Christian Vachon - 7 juillet 2022

Les plus belles découvertes cesseraient de me plaire si je devais les garder pour moi  – Sénèque

Mars, notre passé et notre avenir ; toute l’excitation du chimiste français André Brack se condense dans le titre de cet ouvrage publié aux éditions Alpha, dans leur collection « Sciences ».  Depuis des années, au CNES (Centre national d’études spatiales), il tente d’accumuler les preuves que nous descendons tous de Mars (Mars, notre passé), que la vie aurait été transportée, depuis cette planète, sous forme de bactéries, par des météorites, jusqu’à la Terre. Depuis des années, également, il rêve de voyager là-bas, vers ce monde qui, la Terre devenue trop petite, « pourrait servir de refuge » (Mars, notre avenir).

André Brack exerce une profession fascinante : il est exobiologiste. Sa mission : rechercher des environnements extraterrestres qui possèdent à la fois de l’eau et la chimie du carbone, le scénario propice à une apparition de la vie. Mars, qui fait fantasmer l’homme depuis près de deux siècles, des fameux (faux) canaux à sa surface à La Guerre des mondes de Wells, est la candidate idéale à cette seconde genèse de la vie.  « Mars et la Terre ont connu des jeunesses comparables », écrit Brack. Mars a dû, à l’instar de la Terre, hériter d’abondantes quantités de micrométéorites « riches en matières carbonisées ».  Et il y a de l’eau, fort probablement dans son sous-sol, et sous forme de glace, principalement aux pôles.

Le chercheur Brack obtient un grisant mandat de l’agence spatiale, celui de constituer un groupe européen chargé de définir le scénario idéal pour rechercher des traces de vie utile sur cette planète Mars « sans se préoccuper du coût ni de la charge utile ».

L’exobiologiste tente, d’abord, de prouver que nous venons tous de Mars.  Oui, un transfert de microbes, de Mars à la Terre, « est tout à fait probable », en raison du nombre élevé de météorites, et de la résistance impressionnante des micro-organismes aptes à supporter des voyages spatiaux pouvant durer entre 1 et 20 millions d’années.

Ensuite, il nous incite à voyager vers Mars, à la recherche des indices d’une alchimie de la vie, d’un volcanisme passé, d’une possibilité que des sources d’eau chaude aient circulé dans les fissures de la croûte martienne, que des gaz puissent s’en échapper, « riches en hydrogène, en azote, en monoxyde de carbone, en méthane ».  De là, à obtenir des acides aminés, indispensables à la création de la vie, « il n’y a qu’un tout petit pas ».

Voilà pour l’excitation.

Mais ces « affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires ».

Brack, il en fait la navrante, mais convaincante démonstration, affronte une montagne d’interrogations.

De prime abord, la météorite prouvant le transfert de la vie reste à découvrir.  Nous possédons un riche catalogue d’une centaine d’échantillons de roches martiennes, mais elles sont toutes trop jeunes (entre 200 000 et 1,3 million d’années) pour avoir pu y ensemencer la Terre.

Ensuite, nous cherchons toujours, désespérément, des signes de vie sur Mars, tant sous des formes fossilisées qu’actives.

Il est certain que la surface de Mars ne permet plus la vie.  Le sol martien renferme des oxydants et cette présence exclut toute accumulation de molécules organiques sur l’étendue de la planète. Il faut, donc, explorer à l’intérieur.  Depuis quelques décennies, des robots

– ceux qui survivent à la malédiction martienne (les sondes s’écrasent, ou sont perdues techniquement) –, équipés de minuscules laboratoires, creusent, creusent de plus en plus profondément son sous-sol, à la quête, vaine, d’une trace de vie microbienne. Mince espoir depuis 2021, avec le « rover » Perseverance, qui doit ramener sur Terre un stock d’échantillons récoltés dans un ancien lac, avec un delta de rivière, environnement présentant tous les atomes de base pour cette genèse de la vie.

Les interrogations se multiplient lorsqu’on y envisage d’y envoyer des hommes, plutôt que des robots. Peut-on trouver des moyens de propulsion plus efficaces?  Réduire la durée du trajet de huit à trois ou quatre mois? Imaginer des solutions aux problèmes liés à l’apesanteur, aux rayonnements ionisants (pouvant être mortels), au stress psychologique, à un environnement inhospitalier, avec ses tempêtes de poussière pouvant durer des mois et des mois?

Et si, hourra!, on découvre cet embryon de vie, peut-on en faire une terre d’asile?  Peut-on rendre Mars habitable?

Avec un sous-sol contenant suffisamment de réserves de molécules de dioxyde de carbone, eau et azote, il est possible, certes, de recréer une biosphère, mais il faut escompter une bonne centaine d’années pour réchauffer la planète… et « 100 000 ans pour créer des niveaux d’oxygène similaires à ceux de la Terre ».

Une « terraformation » de Mars est « peu envisageable avec la technologie actuelle ». « S’installer sur Mars lorsque la Terre deviendra invivable ne semble ni techniquement réaliste ni réellement urgent ».

Brack n’a toujours pas exaucé son souhait de découvrir cette vie autonome sur Mars apportant « la preuve du caractère répétitif de la recette de la vie et donc de sa relative simplicité ». Mais la rêverie se poursuit.

Partager, en temps réel, cette emballante aventure de la science, faite d’avancées et de beaucoup, beaucoup, d’incertitudes, demeure, pour lui, un plaisir, sachant qu’il permet aux esprits ouverts de satisfaire leur curiosité, et, surtout, de développer leur sens critique.

« La vérité n’est jamais atteinte », et les conclusions percutantes rarissimes.  « C’est là toute la différence entre la démarche scientifique et une croyance ».

Sciences

Mars, notre passé et notre avenir

André Brack - Alpha

Le scénario d'une colonisation de la Terre par des bactéries martiennes, transportées à travers le système solaire par des météorites, est aujourd'hui privilégié par les scientifiques pour expliquer l'origine de la vie. Les questions qu'il soulève, explorées par l'exobiologie, sont ici exposées, mettant en lumière le défi technologique et humain que représente l'exploration de la planète Mars.

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