Sacrée nature, engendrant chez nous le meilleur et le pire !

Christian Vachon - 23 juin 2022

Depuis plus de quarante ans, Jon Krakauer, épatant auteur de cette ode à l’esprit d’aventure Into the Wild, sait, avec son talent hors pair, célébrer les beautés de la nature.  Depuis plus de quarante ans, aussi, il n’ignore pas que cette nature engendre chez l’homme le meilleur autant que le pire.

Il en livre les preuves dans À l’extrême (une traduction de Classic Krakauer), un recueil d’articles publiés il y a trente ans (à l’exception de deux textes plus récents), alors qu’il fait son apprentissage du journalisme, et édité ce printemps aux Presses de la Cité.

Dans « Jour de deuil et de colère sur l’Everest », écrit en 2014, il conte comment une avalanche tragique sur le Toit du monde offre une occasion unique aux Sherpas, spoliés par leur gouvernement, de faire entendre leurs revendications.

Dans « Après la chute », rédigé en 1990, il expose les répercussions légales et financières d’une escalade devenue « sport grand public » qui minimise les dangers.

Dans « Fred Beckey n’a pas encore raccroché le piolet », composé en 1992, il nous présente un personnage qui ne laisse pas indifférent, un « autiste savant », fantastique dans les montagnes, « mais qui ne sait pas comment se comporter en société », et qui, à 69 ans, vit dans un déni face à ce questionnement :  « qui s’occupera de lui le jour où il ne pourra plus grimper ? ».

« Live Fast. Die Young »,  c’est le prix ultime qu’accepte de payer, le 23 décembre 1994, devant les caméras, le légendaire surfeur casse-cou Mark Foo, en  affrontant les vagues de dix mètres de la Maverick’s Point en Californie (« La dernière vague de Mark Foo »).

La nature risque de se prouver aussi meurtrière dans « Au-dessus du volcan » où, en 1996, Jon Krakauer tente d’alerter le public, « sans l’affoler inutilement », du réveil possible du mont Rainier, « géant endormi », menaçant Seattle, dans l’État de Washington.

Une nature, non pas inquiétante, mais stupéfiante, a façonné une grotte profonde, au Nouveau-Mexique, de 300 mètres, menant à des salles aussi spacieuses que le Madison Square Garden qui accueillent, au milieu des années 90 (« Dans le ventre de Mars »), des visiteurs inattendus, des exobiologistes de la NASA venus les étudier afin d’y trouver, comme ils l’espèrent sur Mars, des traces de vie, des microbes métabolisant des minéraux.

La nature envoûte aussi, au cœur de la chaîne Brooks, en Alaska (« Aux portes de l’Arctique »), un endroit où Jon Krakauer éprouve une « impression d’immensité », « le dernier territoire vraiment sauvage des États-Unis », résistant, du moins encore au début des années 1990, au progrès.

La nature mène, toutefois, aux pires excès dans « Quand l’amour tue », une longue enquête de près de quarante pages où, au milieu des années 90, le journaliste Krakauer dénonce les manigances d’entrepreneurs véreux exploitant la culpabilité des parents (« quand l’amour tue ») envoyant, plein d’espoir, leurs enfants problématiques dans des camps de « thérapie par la nature ».

Survivre au goulag est plutôt le défi de ces jeunes.  Pour des frais d’inscriptions élevés (« dans un secteur peu réglementé par rapport aux profits qu’il génère », des sociopathes, maquillés en éducateurs, font bon usage de l’intimidation et des privations pour briser les volontés de « ces gosses de drogués », des maltraitances qui, inévitablement – Krakauer narre la triste histoire du jeune Aaron, en 1990, au camp d’Escalante, en Utah-, entraînent la mort.

Et si les bureaucrates, avec leurs règlements absurdes, voulant transformer leur camp de survie en camp de vacances, s’apprêtent à intervenir, ces « thérapeutes par l’aventure » iront ailleurs, aux Caraïbes, au Costa Rica, là « où tout est beaucoup plus simple »,  car ils savent qu’ils seront toujours très nombreux, ces parents inquiets, prêts à payer 20 000 dollars pour redresser leurs gamins insoumis.

      La nature sauvage, conclut, philosophe, Krakauer, nous en révèle beaucoup sur la nature humaine.   L’homme, tout comme Sisyphe, s’invente des satisfactions aux efforts qu’il s’inflige.  Il faut, comme l’évoque Albert Camus, s’imaginer Sisyphe heureux, heureux d’affronter les incertitudes du futur avec une résolution stoïque.  « Notre monde court, peut-être, à la catastrophe… mais pas de quoi en faire tout un plat ».

Essais étrangers

À l'extrême

John Krakauer - Presse de la cité

Recueil d'articles publiés dans de grands magazines américains, tels que « the New Yorker », « Outside » et « Smithsonian », emblématiques du journalisme d'aventure pratiqué par l'auteur. Cette sélection de reportages invite à découvrir la beauté destructrice de la nature sauvage, des pentes d'un volcan menaçant Seattle à la réalité des sherpas népalais en passant par la mort du surfer Mark Foo.

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