Nous, les pognés en dedans

Christian Vachon - 30 juin 2022

   « Mieux vaut rester silencieux et passer pour un imbécile que parler et n’en laisser aucun doute » – Abraham Lincoln

                      Il connait un énorme succès, bien mérité, en librairie, depuis sa parution, en début avril, ce Rois du silence d’Olivier Niquet, aux éditions de Ta mère, offrant la preuve que nous, les pognés en dedans, sommes une majorité qui s’ignore, une majorité silencieuse – qui préfèrent, entre autres, aller au dentiste plutôt que chez le coiffeur, « parce qu’il n’est pas nécessaire de lui parler» dont l’auteur, devenu son porte-parole involontaire, a su si bien décrire, avec énormément d’humour et d’esprit, les tourments et comportements, et qui, comme il l’évoque dans son sous-titre, peut (peut-être) sauver le monde (« ou du moins guérir deux ou trois personnes de leur enflure verbale »).

                     D’abord, qui sommes-nous, les pognés en dedans, les taiseux, les introvertis ?  Laissez-nous un peu de temps pour y penser.  Beaucoup de temps.  Beaucoup.  Beaucoup.

                    C’est que nous avons énormément de difficultés à transformer nos pensées en parole.  Notre activité cérébrale nécessite davantage d’énergie que celle des extravertis.  Nous sommes constamment à la recherche d’information lointaine, un « chemin long et raboteux »,  et nous avons besoin de recharger notre batterie, à l’occasion,  « après avoir dépensé toute notre énergie à combattre l’afflux de dopamine ».

                     Et comme les interactions sociales nous sont « aussi énergivores qu’un F-150 sur un chemin de garnottes »,  ils nous arrivent souvent « de ne pas faire le premier pas en matière de salutations », donnant ainsi, faussement, l’impression de juger les gens en silence.

                    Nous n’aimons pas le « small-talk » (ce qui a le désavantage de nous faire paraître plate).   Nous craignons aussi les débats, de nous sentir obligés d’argumenter ;  un combat que nous savons perdu d’avance (« l’extraverti prend le risque de l’humiliation, pas moi »).

                    Nous recevons constamment des conseils non sollicités de la part de nos congénères, préférant, alors, écouter les gens nous expliquer des choses que nous connaissons déjà, plutôt que de naviguer dans les « méandres de l’enfer discursif ».

                    Nous cheminons sur le sentier de la vie sans faire de bruit, et lors des réunions, ces lieux où « les grands tyrans aiment se faire remarquer », nous attendons que notre tour vienne, « et ce tour ne vient jamais ».

                    Nous sommes parfaitement conscients que le « bullshitteur » (être capable de discuter de quelque chose sans trop savoir de quoi on parle est un art, un art qui implique une bonne dose d’esbroufe ; « il suffit souvent de ne rien dire, mais de le dire joliment,  pour épater la galerie ») « prend le contrôle du discours public ».  En conséquence, il n’est pas facile de nous démarquer « dans un monde où l’on valorise l’esprit, la répartie et l’éloquence ».  « L’idéal extraverti instille une croyance voulant que l’être idéal soit une personne sociable, dominante et à l’aise lorsqu’elle est le centre d’attention », assimilant, de fait, la discrétion à une faiblesse, « ce qui nuit au bonheur des introvertis ».

                    Souhaitant nous rendre heureux, Niquet nous invite, nous, les pognés en dedans, les taiseux, les introvertis, à nous accepter comme nous sommes, «sans essayer de jouer à l’extraverti ».

                    Mais il nous incite, tout de même, « à nous ouvrir un peu ». Comme il le fait, lui-même, en s’aventurant dans toutes sortes de projets, où il ne se sent pas toujours à l’aise, comme faire de la radio (où il découvre que les gens sont plus gentils que l’on pense). « Pour apprécier l’introversion à sa juste valeur, il faut parfois en sortir un peu ».

                     N’oublions pas, non plus, cet Internet qui permet à Niquet, et à bien d’autres pognés en dedans, de sortir de l’ombre, un Internet où l’on juge « la qualité du commentaire et non la rapidité à laquelle il a été émis », un Internet qui autorise l’introverti à « devenir une ordure, comme n’importe qui ».

                    Niquet, toutefois, envie le Finlandais qui survit « sans échanger des banalités ».  La Finlande est un pays paradisiaque, « un lieu où les extravertis ne tiennent pas le haut du pavé », où parler tout le temps « peut être vu comme arrogant ».  Il a une folle envie de déménager là-bas, de se mettre tout nu, « d’aller rencontrer plein de Finlandais », sans jamais leur adresser la parole.

                  Olivier Niquet, surtout, a la ferme conviction que les introvertis, par leur souci de ne pas déranger (appréhendant les confrontations, nous respectons les échéanciers et notre ponctualité est infaillible), peuvent sauver notre planète.  « La société irait beaucoup mieux si tout le monde faisait un peu plus attention ».

                Sans négliger que notre tendance antisociale nous protège « contre les dangers qui guettent les masses ».

                Pendant combien de temps le monde peut-il encore de l’apport des introvertis, le meilleur rempart au « bullshittisme » ?

Essais québécois

Les rois du silence

Olivier Niquet - De ta mère

Dans un monde où les grandes gueules ont toujours le dernier mot, les introvertis peinent souvent à faire leur place, ou tout simplement à signifier leur existence. En tant que porte-parole involontaire de la majorité silencieuse, Olivier Niquet nous explique comment réfléchissent ses semblables, comment les nouvelles technologies ont libéré leur « parole » et comment on pourrait s’inspirer d’eux pour apporter un peu plus de nuance dans nos débats, atténuer la polarisation et sauver la planète (ou, du moins, guérir deux ou trois personnes de leur enflure verbale).

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