Sales histoires

Christian Vachon - 1 décembre 2022

**** Attention, ce texte décrit des actes de torture et des violences sexuelles impliquant notamment des enfants ****

Quand tu as passé vingt-ans de ta vie à te confronter au pire de la nature humaine, il devient nécessaire, pour apaiser l’âme, de procéder à une grand « savonnage ». Ce temps est enfin venu pour Isabelle Richer, correspondante, pour Radio-Canada, au palais de justice de Montréal, de libérer son esprit de ces tristes histoires, ces sales histoires, dans Ce que je n’ai jamais raconté. Vingt-cinq ans au palais de justice. Publié cet automne 2022 aux éditions La Presse, cet ouvrage regorge d’histoires parfois stupéfiantes, comme celle d’une victime d’un meurtre s’appelant Marc Richer qui se révèle être son propre cousin, ou encore d’un homme parvenant à cacher, pendant cinq ans, à sa famille, sous une montagne de balivernes, l’assassinat de  son épouse ;  des histoires, surtout, de rebuts de la société que l’on balaie sous le tapis, des histoires aux détails tellement horrible forçant la journaliste, à l’époque, à s’autocensurer dans ses reportages.

De sales histoires, entre autres, de prédateurs sexuels : « Medley, l’enragé de NDG », traitant en esclaves ses victimes, menottées au pied d’un lit, pendant trois semaines ;  Agostino Ferreira, le premier accusé, au Québec, à être désigné délinquant dangereux, atteint d’un délire mystique, le poussant à séquestrer de jeunes vendeuses dans des boutiques d’Outremont ; Stéphane Harding, « brute déchainée », se servant de sa bague pour déchirer des organes génitaux ; Éric Daudelin, effroyable sadique qui introduit, par un tuyau, des souris dans le rectum de ses victimes.

Elle en entendra des choses abominables lors de cas d’enfants martyrisés :  le petit Sacha, cinq ans, « mâté jusqu’à en mourir »  (il portait 72 ecchymoses sur son corps) ;  un enfant de trois ans et demi, jouet d’un beau-père brutal, amené à l’urgence avec un fémur fracturé et un intestin perforé (le juge : « Je n’ai jamais rien vu d’aussi noir » ; Sarah, une fillette de 11 ans, dont on retrouve le corps dans un conteneur à déchets, égorgée par son assassin qui va, de plus, lui planter un exacto dans l’œil (Isabelle Richer : « J’ai failli m’évanouir en entendant la description du meurtre ») ; et Jérémy, « l’enfant qui tombait », qu’un ambulancier tente, en vain, de réanimer, tellement battu qu’il « lui manque de la peau au visage » ( « Vivement un bon procès de fraude », souhaite Isabelle Richer, « pour permettre de ventiler »).

Et il y a ces sales histoires d’êtres abimés, élevés dans un environnement malsain ; tels ces cinq enfants, dont le père les forçait à avoir des relations sexuelles avec leur mère (« des faits dépassant l’entendement ») et qui, ne sachant rien faire d’autres, après avoir été isolés de leurs parents, « que de se livrer à des jeux sexuels », vont, plus tard, multiplier les crimes et les condamnations ; tel cet assassin de 13 ans, fugueur, transparent aux yeux de sa mère, à la recherche de reconnaissance, qui, avec deux autres adolescents de 14 et 15 ans, vont battre à mort, à coups de bâtons de baseball, un couple surpris dans leur sommeil ; tel cet enfant nommé Martin, sans émotion à son procès, qui, à quatorze ans, abat son frère de 17 ans, son père et sa mère, un projet qu’il, « atteint d’une idée de grandeur », consommait depuis l’âge de dix ans.

Il y avait aussi de la rage enfouie chez Sébastien Simon, au « dossier jeunesse fourni », «être humain rejeté par ceux qui le mettent au monde », qui se fit tatouer un Born to Kill et un Born to Die après avoir tué une jeune fille de 72 coups de couteau.

De la fureur, il y en avait d’accumulée également chez Mario Bastien, le meurtrier d’Alexandre Livernoche, le « monstre », né d’un inceste (son père est aussi son « grand-père »), Être saccagé dès sa naissance, sa mère, de seize ans, refusant de s’attacher à lui, va faire de sa vie un ratage complet. Isabelle Richer, elle ose le dire, ne parvient pas à le haïr : « Quoiqu’il est fait, j’éprouve une intense pitié pour lui ».

Le passé d’un Mario Bastien, comme celui de la plupart des autres protagonistes de ces sales histoires, ne justifie rien, mais il peut nous aider, Isabelle Richer nous invite à le faire, « à comprendre, à défaut de nous aider à accepter ».

On ne nait pas monstre, on le devient.

Biographie & Faits Vécus

Ce que je n'ai jamais raconté

Isabelle Richer - La Presse

Pendant presque 25 ans, la journaliste Isabelle Richer a suivi les procès les plus marquants et les plus significatifs à titre de correspondante au palais de justice de Montréal. Couvrir ainsi la scène judiciaire, c’est côtoyer le pire de la nature humaine, rappelle-t-elle. C’est plonger au cœur de la violence, la détresse, la folie et la douleur. Être ainsi quotidiennement confronté à tant de drames laisse des traces. Isabelle Richer avoue d’ailleurs être encore habitée par tous ces récits déchirants qu’elle a entendus au fil des ans. Voilà pourquoi elle éprouve aujourd’hui la nécessité de se «libérer» de toutes ces histoires qui encombrent son esprit. Elle a choisi de le faire par l’écrit.

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