Un Brexit « so British »

Christian Vachon - 18 octobre 2021

Elles sont rarissimes les chroniques venant d’ci sur la lointaine Grande-Bretagne, cette «perfide Albion » avec qui nous avons partagé, pour le meilleur et pour le pire (sans l’esprit visionnaire, au XIXe siècle, d’un gouverneur britannique, Québec serait-elle devenue ville du patrimoine mondial ?), plus de cent ans d’histoire, héritant d’elle, ne serait-ce que politiques et culinaires, bien des traditions.
Ce n’est plus le cas.   Cet été 2021, chez l’éditeur Somme toute, un Québécois nous dresse enfin un portrait, juste et remarquable, de nos anciens conquérants :  British Blues : fractures, grandeurs et misères d’un royaume désuni.  L’auteur, Claude Lévesque, journaliste au Devoir pendant plus de vingt ans, d’un naturel curieux, et étonné, comme bien d’entre nous, par ce vote du 23 juin 2016, où la Grande-Bretagne, par une mince marge, choisit de tirer sa révérence à l’Europe, décide d’aller sur place pour y voir plus clair sur ce verdict.

Il y séjourne, finalement, plusieurs mois, entre l’automne 2017 et l’hiver 2018, en Cornouailles et ailleurs, participant à la vie de quartier, prenant certaines habitudes, gribouillant pages et pages dans ces carnets de notes.

Il en tire cet essai, astucieux, éclairant, concis (120 pages), plaisant à parcourir, où, en quinze chapitres, on fait la connaissance d’une nation réputée, à la fois, pour sa décontraction « et pour son sens de la discipline », pour son progressisme et  « pour les privilèges donc (son) aristocratie jouit encore », pour sa politesse esquisse « et pour la grossièreté de (ses) tabloïds et des supportes de certaines équipes sportives » ;  une nation à la fois déchirée et résiliente qui, tout en vivant une crise bien réelle depuis le 23 juin 2016, aborde, malgré tout, ce Brexit avec son flegme légendaire.  « Keep Calm and Carry On ».

« Existe-t-il dans le monde un seul pays qui affectionne autant les choses compliquées que le Royaume-Uni ? ».

Elle est bien sympathique, cette « perfide Albion », dans les premières chroniques de Claude Lévesque :  une « terre d’accueil » (chapitre 2) où règne une « certaine paix raciale » (alors que 47% des Londoniens ne sont pas Britanniques de souche), une contrée où (chapitre 3) la culture populaire demeure « dynamique » (17% des ventes mondiales de musique concernent des interprètes, des compositeurs ou des paroliers britanniques : Adele, Ed Sheeran,…), une nation où la réputation de convivialité, de côté « bon enfant » de sa population ne sont pas que rumeurs (chapitre 4 :  «un peuple heureux qui a une histoire ? ») :  « le Royaume-Uni s’est doté de suffisamment d’institutions progressistes pour que la plupart des gens sentent qu’ils disposent d’un peu plus que du minimum vital »).

Au chapitre suivant (5 :  « Cheddar, agneaux et harengs :  les petites et moyennes affaires »),  Claude Lévesque souligne comment les Britanniques préservent les traditions agricoles –et le paysage campagnard du même coup- en les subventionnant.  Une visite, au chapitre 6,  à la City de Londres, avec ses édifices en hauteur, nous révèle une ville qui, tout en ayant perdu ses manufactures et ses organes de presse, continue, tout de même , à rivaliser financièrement avec New York.

La Grande-Bretagne, c’est ce « royaume de machos » (chapitre 8), où le droit de vote des femmes a été obtenu, il y a plus de cent ans, de chaude lutte, et où l’ombre des privatisations et du néolibéralisme d’une « dame de fer » (chapitre 9) se projette toujours.  La crise du logement social, avec ces milliers de péniches résidentielles, les « Gitans de l’eau », circulant sur les canaux de Londres, l’un des legs de madame Thatcher, est vivement ressentie.

Des « lignes de fractures » sont donc apparentes dans ce pas si idyllique Royaume-Uni.  Le scrutin de 2016 (chapitre 10) a dévoilé, notamment, une Angleterre divisée en deux entre les grandes villes (qui ont voté « Remain ») et les autres régions.  Les jeunes (attachés à la liberté de mouvement que garantissait l’Union européenne, mais il furent trop peu à aller voter), et les femmes (sensibles aux lois progressistes européennes) se sont aussi opposés majoritairement au retrait de l’Union.

L’aventure du Brexit a également exacerbé les clivages et attisé les querelles dans la classe politique (chapitre 11 : «La zizanie »), opposant Tories contre Tories (et faisant, éventuellement, de Boris Johnson un sauveur), et poussant la gauche (qui a fait couler le « Remain » par sa passivité) plus à gauche.

Une autre fracture, plus visible, entre les nations transforme ce Royaume-Uni en… royaume désuni.  Une nouvelle identité nord-irlandaise (chapitre 12 :  « La désunion : le casse-tête irlandais ») surgit, plus « nationaliste qu’unioniste », l’indépendance de l’Écosse (chapitre 13 :  « La désunion (bis) : le flegme écossais qu’il partage avec les Anglais) devient chose plausible.

L’improbable devient probable.  La Grande-Bretagne, dans sa forme actuelle, pourrait cesser d’exister.

Le chemin vers ce Brexit (chapitre 15) fut « long et tortueux » :  quatre ans et demi de débats, de « traînage de pieds », jusqu’au « coup de théâtre » de Noël 2021.   À quel point les Britanniques se sont-ils « tirés dans les pieds » en votant pour le Brexit et en acceptant un nouveau traité avec l’Union européenne ou celle-ci préservent bien de ses avantages (dont le libre-échange des marchandises), et où l’immigration « échappe encore à tout contrôle » ?

Le Brexit, en fait, s’explique davantage « par la vieille méfiance face aux Européens que par un racisme ou une xénophobie « made in the UK » ».

Le différend avec l’Union européenne, qui s’est réglé de « façon pacifique et civilisé », permet, d’ailleurs, à ce Royaume-Uni de se distinguer, à nouveau, du « Continent », par sa tolérance, et, surtout, « le solide sens de l’humour de ses sujets ».

Le pays, en se rétrécissant (sans, il y a belle lurette, son Empire, et, bientôt, sans l’Écosse), a perdu de sa superbe, mais il conserve sa bonhommie, caractérisant la majorité des Britanniques.

Essais québécois

British Blues : fractures, grandeurs et misères d’un royaume désuni

Claude L/vesque - Somme toute

Les Britanniques sont réputés pour leur décontraction, mais aussi pour leur sens de la discipline. On reconnait leur progressisme, mais on s’étonne des privilèges dont jouit encore leur aristocratie. On les trouve polis, puis on se confronte à la grossièreté des supporters de certaines équipes sportives. Les contradictions et les fractures semblent ainsi s’inscrire aux fondements de cette nation qui, il n’y a pas très longtemps, régentait la moitié du monde.

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