François-Henri Désérable est un drôle de pistolet : un écrivain français passionné de hockey sur glace (il a même joué pour le club d’Amiens). François-Henri Désérable est aussi tombé, lors de son adolescence, sur L’usage du monde de Nicolas Bouvier, « une déflagration comme on n’en connait peu dans sa vie de lecteur ». Il se prosterne même, un jour de printemps 2019, sur la tombe de l’auteur suisse, jurant de partir sur ses traces en Iran, un jour.
Trois ans plus tard, il tient sa promesse. Il en revient, avec ce récit, publié chez Gallimard, L’usure d’un monde, « celui d’une République islamique aux abois ». Dans l’ouvrage, l’Iran et les femmes se dévoilent, digne écho de ce message de Bouvier : « le monde est vaste, grandiose, terrible, et on n’a rien vu ».
François-Henri Désérable passe quarante jours en Iran, aux mois d’octobre et novembre 2022, et traverse le pays de part en part, de Téhéran à la frontière afghane, s’arrêtant en Qom, le « Vatican chiite », au bazar iranien de Chiraz, à Zahedan, au Balouchistan, « ville de contrebandiers tout juste bonne aux combines ». Il s’engage sur la route de Bam, dans le désert, en compagnie d’un Allemand, de trois Suisses et d’une Cambodgienne (« ça ressemble au début d’une blague »). Il croise un Elvis persan grattant sa guitare acoustique près de Persépolis, entame une discussion, sur le chemin de Yazd, avec des Afghans apprentis mollahs se demandant de quoi se plaignent les Iraniennes en regard de ce que vivent les femmes chez eux.
Sur la route d’Ispahan (où il fera « provision de bleu pour le reste de ses jours »), il est pris en voiture par – oh surprise ! oui, ça existe – un partisan du régime : un professeur de biologie à la retraite, souriant, serviable (« rien n’est jamais ni tout blanc, ni tout noir »).
Il s’agit toutefois « d’une espèce singulière, rare, menacée d’extinction ». Une personne sur cent trouve, parfois, des vertus « à la mollahrchie absolue ». Le peuple en a tellement marre de ce régime, le jugeant irréformable (son « ADN est vicié »), qu’il applaudit, dans un bar-café de Kerman, la défaite de l’équipe de football iranienne (« des valets du pouvoir ») contre les Américains lors de la dernière Coupe du monde.
La peur qui accompagne les citoyens iraniens depuis plus de quarante-trois ans est « quelque peu mis en sourdine ». La moitié des filles de moins de trente ans sortent sans le voile à Téhéran. On fait la révolution avec sa voix uniquement, faisant propager l’écho de ce cri merveilleux : « Zan, Zendegi, Azadi » (Femme, Vie, Liberté). Et François-Henri Désérable ne souhaite conserver dans la « mémoire poétique » de ce voyage qu’une seule image : celle d’une femme, une « toupie orange, cheveux au vent, parmi le noir des tchadors », dansant (chose interdite) au mariage de son frère « en tournant comme une derviche ».
Mais la peur n’a pas changé de camp. Loin de là. Ils ont les armes, ils ont l’argent. Et ils continuent de mentir. Et, en Iran comme en d’autres régimes totalitaires, on continue de vivre dans la crainte de son entourage : « Beware! This guy may be a government agent ». Ce type dans cette auberge de Téhéran, qui prétend être un étudiant et qui est désireux de savoir tout sur vous, sur vos opinions sur les manifs, est peut-être un Gardien de la Révolution.
Et François-Henri Désérable en fait, finalement, la triste expérience. Son voyage se termine à Saggez, en pays kurde, là où tout a commencé en septembre 2022 par une mère dévastée, pleurant sur la tombe de sa fille, en chuchotant Sina ! Sina ! (le prénom kurde de Mahsa Amini). Un policier ressemblant à Evgeny Davidov (un hockeyeur russe des Jets de Winnipeg), se fondant dans la masse, a piégé Désérable. Il est interrogé (« Do you know what happened here ? »). Il demeure libre, mais il a trois jours pour quitter l’Iran.
Les mollahs parviennent, pour l’instant, à réprimer dans le sang les aspirations du peuple. Mais François-Henri Désérable a retenu cette chose en revenant de là-bas : « Derrière chaque personne qui meurt battent mille autres cœurs ».
La Révolution islamique fêtera-t-elle ses cinquante ans ?
– Christian Vachon (Pantoute), 24 septembre 2023
L'usure d'un monde
En novembre 2022, l'écrivain passe quarante jours en Iran alors que les manifestations se multiplient après la mort de Mahsa Amini en dépit de la répression menée par la République islamique. Il traverse le pays de Téhéran aux confins du Baloutchistan et témoigne du déséquilibre entre la violence des forces au service du pouvoir et les manifestants armés de leurs seules voix.
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