On ne se lasse jamais de renouer connaissance avec ce bon vieux Winston Churchill, le grand emmerdeur des nazis, et chacun de ces rendez-vous demeure mémorable.
Encerclez, donc, à votre agenda, la date du 15 septembre 2021 : vous êtes invité.e, chez Pantoute, à une retrouvaille stimulante avec ce personnage providentiel, pourtant bourré de tellement de défauts, une réunion qu’anime Erik Larson par son La splendeur et l’infamie (une traduction de The Splendid and the Vile), un bouquin de plus de 500 pages, publié au Cherche Midi.
La rencontre s’annonce prometteuse. Erik Larson est cet ex-journaliste américain, historien de formation, qui, en profitant pour se gagner un vaste lectorat, a su prouver, entre autres par son Dans le jardin de la Bête et Le Diable dans la ville blanche, qu’un brillant essai historique peut aussi être une grande œuvre littéraire. Lire du Larson, ça devient une addiction. Joan Baum, dans une récente critique du nouveau récit de l’auteur, ne ménage d’ailleurs pas ses éloges : « Marvelous metaphors, elegant sentence rhythms, a driving narrative –all make « The Spendid and the Vile » a book for our time ». [Des métaphores merveilleuses, un élégant sens du rythme et une narration passionnante font de La splendeur et l’infamie un livre de notre temps]
De quoi est-il question dans ce Splendeur et l’infamie ? De quelques mois dans la vie de Churchill, entre juin 1940 et mai 1941, où les difficultés, tant publiques que privées, vont s’accumuler dans la vie du vieux Bulldog. Le premier ministre doit remonter le moral du peuple anglais durement éprouvé par les intenses bombardements de l’aviation allemande, tout en veillant à maintenir l’union de sa propre famille, alors que sa plus jeune fille Mary, pleine d’entrain, sort de l’adolescence, et que son fils unique Randolph, accumulant les dettes de jeu, sombre dans l’alcoolisme.
Utilisant non seulement des documents publics, mais des lettres, des journaux intimes de sa fille Mary, ou de son secrétaire privé John Colville, Erik Larson nous fait partager les multiples gammes d’émotions ressenties par Churchill lors de ces « finest hours », en profitant pour nous familiariser avec des personnalités marquantes, injustement demeurées obscures, de son entourage, entre autres le magnat de la presse, canadien d’origine, Lord Beaverbrook, et cet autre grand ami, conseiller privilégié du président américain Roosevelt, Harry Hopkins, « a crumbling lighthouse from which there shine the beams that led great fleets to harbor » (Larson). [Un phare vacillant d’où brille la lumière menant ces flottes immenses à bon port]
Qu’accomplit Churchill durant cette période ? Il embête les nazis par son pouvoir de persuasion. « Every time Churchill took to the airwaves it was as if he were injecting adrenaline-soaked courage directly into the British people” [Chaque fois que Churchill passait à la radio, c’était comme s’il injectait du courage plein d’adrénaline au peuple britannique] (Candide Millar, “How Churchill Brought Britain Back From the Brink”, The New York Times Book Rewiew, 25 février 2020). “When will that creature Churchill finally surrender”, se lamente, frustré, à l’hiver 1940, Joseph Goebbels, dans son journal. “England cannot hold out forever”. [Quand donc ce monstre Churchill se rendra? L’Angleterre ne peut résister pour toujours] Sa hantise “that a far greater master of words and ideas would unite the West in a resolute defense against Nazi domination” (Candide Millard) [qu’un autre grand maître des mots et des idées puisse unir l’Occident contre la domination nazie] devient chose réelle.
“If words counted” proclame lui-même Churchill, “we should win this war”. [Si les mots comptent, nous devrions gagner cette guerre].
Mais le temps presse, un temps qu’il consacre de plus en plus, non pas à inspirer son peuple, mais l’ami distant, les États-Unis d’Amérique. Franklin Delano Roosevelt, le président américain, a beau être « an ally in spirit », cela ne suffit plus. « Without the help of the United States, Britain stood little chance of surviving” (Candice Millard). [Sans l’aide des États-Unis, l’Angleterre n’a que peu de chances de survivre]
Churchill enseignant aux Britanniques “the art of being fearless” [L’art d’être sans peur]: quelle belle histoire! Un peu trop belle, peut-être, un peu trop légendaire? C’est ce que suspecte Gerard DeGroot, du Washington Post, dans sa critique de l’ouvrage (« Winston Churchill and the power of English myth », 28 février 2020 : « Larson is a superb storyteller who cleverly weaves together the colossal and the mundane (…). The Splendid and the Vile reveals the danger of an author parachuting into a dramatic moment of British history without a full understanding of the context”. [Larson est un brillant conteur qui allie intelligemment l’extraordinaire et le commun (…) La splendeur et l’infamie révèle les dangers d’un auteur parachuté dans un moment dramatique de l’histoire de l’Angleterre sans en saisir entièrement le contexte]
Le critique nous met en garde : « Churchill was a trickster, a brilliant propagandist who understood the power of English myth. He intentionally played on Arthurian imagery to coax gullible Americans into the war (…). The myth of Churchill single-handedly inspiring a country to gargantuan feats remained immensely popular in the immediate aftermath of the war. It was, however, demolished in the 1970s and 1980s by historians (…), who exposed the real nature of Britain’s wartime strength – a strength rooted in her factories”, [Churchill était un manipulateur, un propagandiste brillant qui comprenait l’étendue du pouvoir du Mythe Anglais. Il a volontairement joué sur l’imaginaire arthurien pour attirer des Américains crédules à la guerre. (…) Le mythe de Churchill qui inspire à lui tout seul un pays à réaliser d’incroyables exploits est resté très ancré dans l’Après-Guerre. Ce mythe a cependant été mis à terre dans les années 70 et 80 par les historiens (…) qui ont révélé la vraie nature de la force anglaise pendant la guerre: ses usines].
Belle légende, également, que celle d’une “England Alone’’. Un empire, nous incluant nous les Canadien.ne.s, lui tenait compagnie. « In addition to the Scots, Welsh and Northern Irish, she (l’Angleterre) could call upon the resources of a vast empire of more than 500 million people –Canadians, Australians, Indians, South African, etc.” (Gerard DeGroot). [En plus des Écossais, des Gallois et des Nord-Irlandais, l’Angleterre pouvait compter sur les ressources d’un empire vaste de plus de 500 millions de gens: Canadiens, Australiens, Indiens, Sud-Africains, etc.]
“The Battle of Britain was won in the factories, not in English country houses”. Soit. [La bataille de l’Angleterre a été gagnée dans les usines, pas dans les maisons perdues dans la campagne anglaise.]
N’empêche, nous avons besoin d’être rassuré.e, de croire qu’à des heures tragiques de l’histoire, il arrive, parfois, que des personnages fassent preuve d’héroïsme, émettent des jugements sûr, aiguisés par le passé, comme ce Churchill qui a su, très tôt, percevoir le côté hideux du régime nazi. Mythique, peut-être, est le récit de Larson, mais il demeure, néanmoins, franchement motivant. Faut-il le répéter : « When the legend becomes fact, print the legend”. [Quand la légende devient réalité, imprimez la légende]
Et sa prose nous rend palpable les horreurs du Blitz, les contrecoups des raids aériens, « the smell of cordite after a detonation (…). As buildings erupted, thunderheads of pulverized brick, stone plaster and mortar billowed from eaves and attics, roofs and chimney, hearths and furnaces. Dust from the age of Cromwell, Dickens and Victoria” (Erik Larson). [L’odeur de la poudre après une détonation (…) alors que les bâtiments explosaient, des nuages de briques pulvérisées, de plâtre et de mortier s’échappant des corniches et des greniers, des toits et des cheminées, des foyers et des fourneaux. De la poussière de l’époque de Cromwell, Dickens et Victoria]
Nous serons donc au rendez-vous, cet automne.
La splendeur et l'infamie
Le 10 mai 1940, Winston Churchill est nommé Premier ministre du Royaume-Uni. L'Allemagne nazie mène une intense campagne de bombardements contre l'Angleterre. Churchill doit soutenir le moral de son peuple et convaincre Roosevelt d'entrer en guerre. Dans la sphère privée, les difficultés s'accumulent également mais le Vieux lion veille aussi à maintenir l'union de sa famille.
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