Ne paniquons pas, ça jase plus que jamais en français au Québec. C’est ce que démontre Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise, publié chez Del Busso Éditeur cette fin d’automne 2023. Certes, l’attrait de l’anglais demeure aussi puissant; certes, dans de trop nombreuses chaumières, on n’use que bien d’autres langues que le français. Mais, dans la sphère publique, c’est en français que cela se passe.
Tasser l’émotif, éviter les discours alarmistes, poser un regard nuancé et éclairé sur la situation de la langue française au Québec : c’est à cela que se dévouent les démographes et sociologues Jean-Pierre Corbeil, Richard Marcoux et Victor Piché qui vont recruter une trentaine de chercheurs ou d’observateurs venant de différents milieux (de l’université, du droit, du journalisme) et obtenir d’eux une vingtaine de textes nous traçant le portrait « d’une francophonie québécoise en mouvance constante ». Cela nous permet d’apprécier « cette nouvelle francophonie en émergence ».
Admettons-le, il y a des reculs, notamment ce déplorable accueil bilingue Hi ! Bonjour ! dans trop de commerces de l’île de Montréal. L’anglais demeure non seulement indispensable, mais une langue dotée d’un fort pouvoir d’assimilation dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce sur cette même île de Montréal (« Petite promenade dans NDG » de Mario Polèse). Et bien des jeunes manifestent un désintérêt pour la culture québécoise. Il faut, tout de même, se poser la question « de ce que signifie la consommation d’une culture québécoise et de produits culturels québécois, une culture elle-même en constante évolution ».
Rien d’inquiétant, toutefois, précisent Corbeil, Marcoux et Piché : le Québec est simplement au « diapason de la nouvelle francophonie » et toutes avancées du bilinguisme, et même du plurilinguisme, ne constituent pas automatiquement une menace à la langue française. « Nous croyons que des gains appréciables ont pu être réalisés au cours des dernières décennies, et toute présence de l’anglais ne signifie pas nécessairement une absence du français » (« Une lecture plus nuancée de l’état de la situation linguistique au Québec en 2023 » de Jean-Pierre Corbeil).
Observons. Tous les jeunes francophones ne s’anglicisent pas – c’est même une infime minorité – au terme de leurs études collégiales en anglais (« Que deviennent ces étudiantes et étudiants francophones qui fréquentent le cégep anglophone » de Karine Vieux-Fort); ils cherchent simplement à « s’ouvrir un univers de possibilités ». Plus de quatre diplômés sur cinq, dont le plus récent diplôme provient d’un établissement de langue anglaise, utilisent le français au travail sur une base régulière, sur l’île de Montréal (« Fréquence d’utilisation du français au travail par les diplômés des cégeps et des universités anglophones » d’Étienne Lemyre).
Surtout, surtout, 93,7 % de la population québécoise est apte à faire usage du français dans l’espace public (encadré 3 : « La capacité autodéclarée de soutenir une conversation en français : un indicateur utile et pertinent » de Corbeil et Marcoux), un constat demeurant dans l’angle mort des alarmistes qui se fixent trop sur la langue parlée dans la sphère familiale.
C’est cette nouvelle réalité complexe du Québec qu’il faut maintenant apprécier et applaudir : celle d’une très vaste majorité de jeunes, surtout sur l’île de Montréal, traversant constamment les frontières linguistiques, se sentant à l’aise dans les deux contextes, anglophones et francophones, affirmant « qu’ils n’ont aucune difficulté à passer de l’un à l’autre » (« Le rapport aux langues chez les jeunes dans les écoles de langue anglaise au Québec » de Diane Gérin-Lajoie).
Le français avance toujours malgré son déclin relatif. Le français est cette langue qu’on utilise a priori, dès qu’on se retrouve sur la place publique (« Une approche ethnographique dans l’analyse de la situation linguistique québécoise » de Patricia Lamarre). Et c’est cela le plus grand acquis, la plus belle réussite de ces dizaines d’années d’actions constructives dans le domaine linguistique. Tous acceptent, et c’est l’unique objectif légal, que la langue du travail, la langue publique commune au Québec, soit le français.
Les législateurs linguistiques n’ont jamais cherché à imposer le français comme langue d’usage dans le milieu familial. C’est pourtant là-dessus que se focalisent les discours affolants, pointant entre autres les immigrants comme des « voleurs de langue » : « l’utilisation du français langue maternelle comme critère dans les enquêtes sur l’état du français font le jeu des alarmistes et perpétue l’image de l’immigrant comme menace » (« Langue et immigration » de Marco Micone). Dans son chapitre, Micone continue : « On en demande trop, depuis trop longtemps, au français, un instrument idéal aux mains des démagogues ».
Qui est francophone ? Redéfinir la francophonie, s’éloigner de la vision dualiste, ethnique, tribale, archaïque de l’anglais contre le français, de notre espace québécois et canadien (« Qu’est-ce qu’un francophone ? Enjeux et implications d’une définition » de Jean-Benoît Nadeau), reconnaître la légitimité de la diversité linguistique (« Politique d’aménagement linguistique et éducation inclusive en milieu scolaire » de Josée Charrette et Danial Nabizadeh), reconnaître aussi les contributions à la francophonie d’individus dont le français n’est pas la langue principale : telles sont les nombreuses pistes que les autrices et les auteurs de ce Français en déclin ? suggèrent de suivre pour assainir le débat.
« Il n’existe aucun motif rationnel de légiférer comme le fait la loi 14, » ose même évoquer le turbulent avocat Julius Grey (« La réforme des lois linguistiques : la fausse prémisse »). Il s’agit « d’une déclaration de guerre au bilinguisme français-anglais partout au Québec », un bilinguisme indispensable, comme c’est le cas en Inde et aux États-Unis, sans danger existentiel et qui ouvre le Québec sur le monde.
Au Québec, quoi qu’il en soit, on continue de vivre en français autrement.
– Christian Vachon (Pantoute), 3 mars 2024
Le français en déclin ?
La fragilité du français ne fait pas de doute, mais le pessimisme et le défaitisme ambiants ne sont pas pour autant des solutions. Il est essentiel de proposer un débat éclairé qui s’éloigne de la vision sombre, monolithique et réductrice du discours dominant actuel. Que signifie aujourd’hui être francophone ? Est-ce nécessairement avoir le français comme langue maternelle ou comme principale langue d’usage à la maison? La francophonie québécoise est plus complexe qu’on veut bien l’admettre. Ce livre propose une vision d’espoir et des pistes d’action constructives pour débattre plus sainement d’un sujet aussi sensible et complexe.
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