Des vieux manuels qui instruisent gros

Christian Vachon - 21 août 2023

Paul Aubin en a la certitude : nos vieux manuels scolaires nous instruisent gros sur notre passé. Ce fonctionnaire à la retraire du ministère de la Culture effectue, depuis vingt ans, un catalogage de tout ce qui a été édité au Québec, et ce depuis l’ère coloniale, à des fins d’enseignement et d’apprentissage. Il est soucieux d’offrir aux chercheurs et aux chercheuses une base de données où ils et elles peuvent mesurer l’étendue et la richesse de ces manuels scolaires, « à la fois facteurs et révélateurs de l’état et l’évolution d’une société », ces outils de formation aidant l’enfant « à [s’]insérer dans cette société et en partager les valeurs ».

Les manuels scolaires sous la loupe de l’historien : 1630-1963, publié ce printemps 2023 par Septentrion, nous donne un avant-goût de cet inventaire. Paul Aubin articule la présentation de son catalogue en quatre subdivisions chronologiques, de la Nouvelle-France (faute d’imprimerie, les très rares manuels – quatre, en fait, uniquement en matières religieuses – destinés à la colonie sont édités en France),  en passant par la création du Conseil de l’Instruction publique en 1841, jusqu’à ce milieu des années 1960, dans l’ère post-Commission Parent, où, tranquillement, les communautés religieuses vont évacuer complètement ce secteur d’activité.

L’Église, on le devine, est omniprésente dans l’environnement du manuel scolaire de ces périodes. C’est elle qui a charge de l’enseignement dans le milieu francophone au Québec. Des lois votées en 1856 et en 1869 vont consacrer cette influence de l’Église sur l’administration du système scolaire, usant de son prestige sur les commissions scolaires chargées du choix des manuels scolaires (à l’exception des livres religieux, dont la décision relève du curé ou du pasteur).

Aubin nous rappelle qu’il y avait encore, en 1961, 45 243 membres de communautés religieuses au Québec, dont la majeure partie oeuvraient dans l’enseignement. En ce début des années 60, toujours, plus de la moitié des manuels scolaires étaient d’ailleurs édités par ces communautés religieuses, Frères des écoles chrétiennes et autres.

Au total, selon le recensement de monsieur Aubin, ce sont 4 017 manuels scolaires qui vont être publiés au Québec ou pour le Québec pendant ces 333 années, du Catéchisme bilingue français-huron de 1830, au Jésus au bord du lac de 1963. Et pas uniquement, bien sûr, des catéchismes; pas uniquement, non plus, des brochures servant à apprendre à lire, à écrire, à compter, ou à « tenir maison » pour les filles. Déjà, dans les années 1850, plus de soixante disciplines (biologie, comptabilité, géographie générale, …) sont enseignées dans les institutions scolaires québécoises et la plupart du temps, les bouquins s’y consacrant sont imprimés au Québec, un marché fort lucratif pour les imprimeurs et les éditeurs puisqu’il est en forte croissance avec l’augmentation graduelle de l’âge de scolarité obligatoire. Les réimpressions se succèdent fréquemment, à coup de dizaines de milliers d’exemplaires supplémentaires.

Paul Aubin nous présente un vaste échantillon de ces titres, mémorables ou pas : un Petit manuel du cultivateur à l’usage des écoles normales édité en 1896; des Notions de trigonométrie pratique publié par les F.E.C. en 1918 (huit réimpressions jusqu’en 1940); une Tenue des livres rendue facile des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame (C.N.D.); un Cours de l’électricité appliqué à l’automobile de 1949; un Principes de téléphonie de 1952; et, bien sûr, faisant son apparition en 1919, ce grand classique de la C.N.D. : Le manuel de la cuisine raisonnée.

Un gros livre est ouvert. Le papier est beige et les deux pages présentées sont marquées par une écriture serrée, en lettres attachées. Au bas de la page de gauche se trouve un dessin de ce qui semble être une dalle ou une pierre tombale envahie par de la végétation. La légende au bas de l'image dit « Coulommiers - Typogr. A. MOUSSIN. »
Livre scolaire « Histoire ancienne et histoire moderne », écrit à main; Le musée des Arts et Traditions populaires Joseph Vaylet, Espalion, dept. Aveyron, France. Photo de JoJan.

Faute d’un support visuel (l’ouvrage de plus de 400 pages ne comporte aucune illustration), il m’est impossible de savoir si Mon premier livre de lecture (édité en 1940) et Mon deuxième livre de lecture (paru, lui, en 1941 : tirage cumulatif de 880 000 exemplaires), du tandem laïque Forest-Ouimet, sont ceux dont on faisait encore usage dans mon école primaire de la fin des années 60. J’ai, par contre, le parfait souvenir de notre enseignant faisant emploi utile de ces tableaux dits « Filteau- Villeneuve » qui accompagnent ce manuel publié en 1948 : Conversation anglaise à l’aide de l’image.

Aucun manuel, toutefois, n’a autant marqué les générations précédentes que ce mythique Catéchisme des provinces ecclésiastiques du Québec, rédigé en 1888 par le futur cardinal Louis-Nazaire Bégin (plus de 50 réimpressions, jusqu’en 1952). Il contenait 508 questions-réponses à mémoriser sans réserve. Cette mémorisation, cependant, n’a plus la cote en pédagogie dès le début du XXe siècle : entre 1922 et 1963, seulement cinq manuels sur 2 572 (!) utilisent la fameuse formule questions et réponses. Même l’Église délaisse cette méthode au début des années 1950 avec son Catéchisme catholique : ce que nous devons croire, ce que nous devons faire, finissant par admettre que, plutôt que des têtes à meubler, il est préférable d’atteindre et de convertir les cœurs.

Au XXe siècle, donc, il faut comprendre et non mémoriser ce qu’on retrouve dans le manuel (où l’impact visuel va grandissant), le mettre en pratique, prendre des notes, s’exercer constamment. La vogue des cahiers d’exercices, avec cette philosophie de l’école active, va exploser dans les décennies suivant les années quarante. Et ce sont les parents qui vont en assumer les frais.

Les frais scolaires ! Vieux débat que celui-ci. Paul Aubin nous signale que, dès le début du XIXe siècle, on se plaint déjà du coût élevé des manuels scolaires (un loi, en 1944, prévoit le financement partiel de ces manuels par l’État).

D’autres problématiques resurgissent de décennies en décennies : l’uniformisation (ne peut-on s’entendre sur le meilleur manuel à utiliser ?), le « qu’est-ce qui importe ? » : le livre ou l’enseignant, le texte du manuel ou l’enseignement oral de l’instituteur ? Certes, dès le milieu du XXe siècle, l’enseignement purement livresque est, dit-on, partout prohibé, mais tous en ont fait l’expérience : cela demeure un vœu pieux.

En nous livrant cet aguichant appât, Paul Aubin nous certifie que l’histoire des manuels scolaires n’a rien d’ennuyeuse !

– Christian Vachon (Pantoute), 20 août 2023

Histoire

Les Manuels scolaires sous la loupe de l'historien

Paul Aubin - Septentrion

De 1630 à 1963, les professeurs et les élèves du Québec auront eu en main plus de 4000 outils pédagogiques dont des manuels, édités à des fins d’enseignement et d’apprentissage. Production forcément restreinte durant le Régime français, la demande explosera à la suite de la hausse du taux de natalité, de l’augmentation du nombre d’immigrants et d’un enseignement de plus en plus diversifié. L’état devra alors intervenir pour encadrer l’administration du monde scolaire; en témoignent les lois scolaires, depuis celle de l’Institution royale en 1801 jusqu’à la création du ministère de l’Éducation en 1964.

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