Le français ne part pas à la dérive

Christian Vachon - 28 août 2023

Les linguistes de France, de Belgique, de Suisse et du Canada en ont marre. Ils et elles en ont ras-le-bol de ces vedettes médiatiques, de ces soi-disant puristes faisant étalages de déclarations catastrophiques, répandant de multiples idées fausses sur une langue française partant à la dérive.

Les linguistes atterré(e)s répliquent par un Français va très bien, merci, un pamphlet d’une soixantaine de pages édité chez Gallimard dans sa collection «Tracts ». Dans ce pamphlet, ils bousculent de nombreuses idées reçues sur l’état de santé de notre langue à l’aide de leur expertise scientifique. Préparez-vous à bien des surprises !

Le français est un organisme vivant. Le français bouge. Le français évolue comme toutes les langues (idée fausse et franchement « historiquement datée » que cette pérennité de la « langue de Molière » à travers les siècles). La norme « puriste » n’est pas la vérité sur la langue. Le « bon usage » varie selon les époques et cet usage, les linguistes l’étudient avec minutie, faisant fréquemment le constat que « la forme correcte d’aujourd’hui est souvent la faute d’hier ».

Les linguistes, au risque de vous choquer, ne se demandent pas si une tournure « est correcte ou non », si c’est « élégant ou laid ». Ils et elles portent un regard savant et non esthétique. Ils étudient la construction du sens (la sémantique), la vitesse de diffusion d’un néologisme.

Ils et elles osent affirmer que la littérature, dont on abuse du prestige pour autoriser ou interdire telle ou telle construction, n’est pas la langue. L’oral, en fait, précède toujours l’écrit (idée fausse que ce français parlé déficient), un oral ayant sa propre grammaire que les linguistes examinent rigoureusement.

L’Académie française, défendant une vision trop souvent élitiste de la langue, soutiennent les linguistes atterré·es, ne règlemente pas le français. C’est le bon peuple, dans son quotidien, qui en fabrique et en façonne l’usage.

Un vieux dictionnaire au pages jaunies est ouvert à la première page. Celle de gauche est vide alors que celle de droit contient le nom de l'auteur (Ambrosii Calepini) et l'oeuvre (Dictionarium) ainsi qu'un texte de présentation illisible. Tout est écrit en latin. Le dictionnaire se trouve sur une table rouge et, en haut à gauche de l'image, nous voyons le coin d'un autre document étalé sur la table, mais il est impossible de l'identifier puisqu'on ne voit qu'un coin blanc.
Dictionnaire d’Ambroise Calepin, 1558

Le français, sur Internet et les réseaux sociaux, n’est pas non plus un mauvais français. Il s’agit d’une écriture libre, spontanée, « qui se construit en même temps que les usagers ». C’est un lieu où, tout comme le firent les copistes des temps médiévaux, on fait l’usage fréquent de néographies nécessitant, en fait, des compétences linguistiques avancées, pour faciliter les échanges rapides.

Le monde change et le français emprunte pour s’enrichir et apporter une nuance. Il adopte de l’anglais son « spoiler », tout comme celui-ci fit de même, auparavant, avec notre « déjà vu ». D’ailleurs, c’est une idée fausse que ce français « envahi par l’anglais » : accueillir un mot, ce n’est pas « appauvrir sa langue ». Bien de ces emprunts, agaçants ou sympathiques, sont d’ailleurs souvent éphémères.

Le français, aussi, n’appartient pas à la France. Le standard unique, artificiellement épuré, est un mythe. Les francophones de Belgique, du Québec et d’Afrique façonnent fort bien notre langue planétaire. Ils et elles en représentent même l’avenir. Il serait peut-être également temps, glissent les linguistes atterré·es, que l’État français lève l’embargo sur le doublage des films réalisés au Québec.

L’orthographe, que cela vous plaise ou non, ce n’est pas non plus la langue : c’est simplement partager un « code graphique », souvent cocasse ou absurde; un code qui peut et qui doit être réformé, rationalisé  (« la simplification en sera la conséquence et non la cause »). Les grammaires et les dictionnaires « ne sont pas des tables de lois immuables ».

Certes, « la maîtrise de l’orthographe régresse »  (« l’enseignement de la complexité de l’orthographe est une véritable gageure »), mais rien ne permet de prétendre, actuellement, que le français est « massacré » par les jeunes, une « crainte séculaire » ne reposant sur « aucune observation scientifique ». Chaque génération a son jargon et le français, comme toutes les langues, présente des variations de style. Le danger, c’est de les hiérarchiser.

« La seule et unique manière de massacrer une langue, » nous rappellent les linguistes, « c’est de ne pas l’utiliser et de ne plus la transmettre ».

Si ce « iel » ou ce « ellui » inclusif vous dérange, faites en fi : seuls les plus plébiscités resteront en usage (une autre idée fausse que celle d’un français mis en péril face « à l’extension du féminin »).

Bref, ne pesons pas sur le bouton panique : notre français « de tous les jours » n’est pas saturé de « fautes ». Il se transforme tout simplement. Bien qu’un « bon matin » m’apparaît un anglicisme bien vilain et qu’un nénuphar, avec un « ph », c’est bien plus chouette !

– Christian Vachon (Pantoute), 26 août 2023

Essais étrangers

Le français va très bien, merci

Les Linguistes Atterré·es - Gallimard

Des linguistes francophones de Belgique, de France, de Suisse et du Canada appellent à faire la distinction entre une faute de français et l'évolution de la langue. Ils déconstruisent dix idées reçues sur le bon usage de la langue française et présentent trente propositions pour les éviter et percevoir toutes les richesses linguistiques apportées par l'usage populaire.

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