Ils domptaient les pitounes

Christian Vachon - 7 avril 2022

Êtres mythiques, ces fiers et intrépides Canadiens furent au milieu du XXe siècle, domptaient les pitounes dans les eaux tumultueuses de nos rivières, afin de les acheminer aux usines nourrissant en papier les journaux de New York, de Chicago et autres grandes villes d’Amérique.

Raymonde Boucher nous conte enfin leurs incroyables exploits dans Il était une fois des draveurs, publié cet hiver chez l’éditeur québécois Septentrion.   L’autrice du si apprécié La vie dans les camps de bûcherons au temps de la pitoune, saute aussi sur l’occasion pour corriger certaines idées fausses.  Non, le draveur n’est pas ce risque-tout, descendant une rivière sur un billot, ou pire, une pitoune.  En fait, il se déplace avec trois autres compagnons dans une barge pour suivre les billots.

Tout est synonyme de danger dans l’univers de la drave, où, au printemps, le fort débit des rivières transforme les billots en armes mortelles.  En une trentaine d’années, sur la Matawin en Mauricie, plus d’une vingtaine de draveurs perdent leur vie.  Des croix, plantées tout au long de la rivière, rappellent ces tragédies.

Ces hommes ne veulent pas perdre mais bien gagner leur vie.  Ils sont des milliers, dans les années quarante et cinquante, à quitter leur ferme à l’automne pour envahir les chantiers à la recherche d’un gagne-pain supplémentaire pour leur famille.  Après avoir bûché tout au long de l’hiver, les plus audacieux s’occupent, au printemps, du flottage des résineux vers les usines de pâte à papier.

Raymonde Boucher, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, est allée à la rencontre d’une demi-douzaine de ces draveurs.  Ceux-ci nous offrent une image saisissante de leur quotidien.

Il y a Salomon, gardant en mémoire le nom des 32 rapides de la Matawin qu’il devait affronter. Puis Gaspard, sur la rivière l’Assomption, qui, travaillant de 4 heures du matin à 22 heures le soir (avec quatre repas par jour), parvient à faire passer sa paie de 2 dollars, par jour, en 1940, à dix dollars, cinq ans plus tard. Aussi Roger, de Charlemagne, constamment mouillé de la tête aux pieds, alors qu’il haussait, aux endroits où la drave est impossible, des pitounes sur une barge avec un crochet.

Et ils usent d’un vocabulaire propre à eux, ces draveurs.  Ils nous parlent de l’indispensable « approuvement ;  d’un boutefeu parfois nécessaire, ou d’un dangereux « rat d’eau ». Il est aussi question d’un «hurlot » faisant la «sweep » et de « sluicer » les pitounes.

Rehaussé de nombreuses photos, Il était une fois des draveurs est, du haut de ses 130 pages, un méritoire hommage à un métier disparu.  Le développement routier et surtout les pressions des groupements écologistes (l’écorce des résineux, s’accumulant au fond des rivières, risquait de priver d’oxygène les écosystèmes) mettent fin à la drave.  La Saint-Maurice sera, au début des années 90, la dernière rivière à servir « d’autoroute pour la pitoune ». Depuis, on entreprend le long nettoyage des cours d’eau.

Le draveur a rejoint, au côté du chasseur de baleines, le panthéon des boulots héroïques.

Histoire

Il était une fois des draveurs

Raymonde Beaudoin - Septentrion

Au début du XXe siècle, les papetières ont hissé les forêts québécoises au rang des richesses naturelles incontour­nables. Les rivières constituaient souvent l'unique moyen d'acheminer le bois vers les usines, en le faisant flotter sur des eaux tumultueuses. C'était aux draveurs d'accomplir cette tâche difficile. Les accidents étaient, hélas, monnaie courante. Si certains y ont laissé leur vie, tous voulaient la gagner. Raymonde Beaudoin brosse un tableau saisissant du quotidien des draveurs. À partir de leurs témoignages, elle décrit les manœuvres des hommes dans les barges et le travail de ceux qui, sur la rive, remettaient les billots dans le courant. Loin du conte et de la légende, l'auteure propose une incursion dans un univers impensable aujourd'hui, un hommage à ces draveurs qui travaillaient de l'aube jusqu'à la nuit tombée. Originaire de Sainte-Émélie-de-l'Énergie, Raymonde Beaudoin a vécu une année dans un camp de bûcherons avec ses parents. Après une carrière comme enseignante, elle a publié au Septentrion La Vie dans les camps de bûcherons au temps de la pitoune puis Recettes de chantiers et miettes d'histoire.

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