Conter l’histoire du cinéma à partir de ses affiches les plus marquantes (Rosemary’s Baby, la virale Scarface, au Tony Montana en noir et blanc, la Pulp Fiction à l’éclat rétro, et plus de 500 autres !) tout en nous apprenant beaucoup sur nos goûts, nos mœurs, nos comportements ? C’est ce que réussit sublimement l’auteur britannique Ian Haydn Smith dans son Le cinéma s’affiche : une autre histoire du 7e art (une traduction de Selling The Movie) des éditions de l’Imprévu.
Dès les débuts du cinéma, l’affiche est là, suscitant l’émerveillement chez le spectateur, tentant de le convaincre d’aller voir ce film si prometteur. Ne songeons qu’à cette publicité, en 1895, de Marcellin Auzolle pour L’arroseur arrosé des frères Lumière, mettant en évidence un public s’enthousiasmant pour le nouveau divertissement. Comment l’affiche parvient à être si convaincante, au fil des ans ? Comment aspect créatif et intérêts commerciaux tentent d’aller de pair ? C’est ce que dévoile Ian Haydn Smith dans ce bel album de plus de 250 pages.
Il nous entraîne, décennie par décennie, jusqu’à la fin des années 1990, dans un périple imagé où le cinéma hollywoodien est bien sûr à l’honneur (l’âge d’or des séduisantes et sophistiquées « screwball comedy » à la Bringing Up Baby, les films indépendants « fin de siècle » des Soderbergh, Linklater, Aronofosky, …), mais aussi les héros et héroïnes indien·nes à la sauce Bollywood (qui mériteraient, à elels et eux seuls, un ouvrage), les troublants expressionnistes allemands des années 1920, l’inimitable style macabre des giallo italiens des années 70, les stéréotypes prononcés type Juif Suss des films nazis, l’utilisation novatrice de la couleur, dans les années 1940, par les cinéastes britanniques Powell et Pressburger, les comédies noires mettant en vedette Alec Guinness des studios Ealing au début des années cinquante, et bien d’autres trouvailles. Pensons ici au cinéma afro-américain d’Oscar Michaux, notamment, des années 30; le polar à la française : Touchez pas au Grisbi, Ascenseur pour l’échafaud, des années 50 et 60; Nikita et les films d’action au féminin des années 90; etc. Haydn Smith nous fait apprécier les meilleures affiches de chacune de ces décennies : une Metropolis au futurisme très appuyé, une Sullivan’s Travels, de 1941, plaçant à l’honneur la mèche blonde de Veronika Lake, une 12 Angry Men, de 1957, où le couteau accusateur occupe une place centrale, le Travis Bickle solitaire, angoissé, comploteur d’une Taxi Driver, de 1976, …
Fréquemment, l’auteur jette un « gros plan » sur un cinéaste marquant : D.W. Griffith (où le Ku Klux Klan est présenté de manière héroïque sur ses affiches de Birth of a Nation), Kubrick (attardez-vous à la simplicité trompeuse de l’affiche de Barry Lyndon), Aldomovar (la Cecilia Roth très, très stylisée de l’affiche de Tout sur ma mère, de 1999, nous fait saisir toute la puissance émotionnelle du film), Spielberg, qui parvient presque toujours à obtenir l’impact maximal désiré sur le public par ses affiches (le logo minimaliste de Jurassic Park, le soldat, en contre-jour, de Saving Private Ryan). Il s’attarde aussi à des comédiens et comédiennes : Jean Gabin (« l’homme traqué » de Pépé-le-Moko), Clint Eastwood (dont l’affiche d’Unforgiven reflète parfaitement l’ambiguïté morale du personnage), les grandes actrices européennes comme Audrey Hepburn, Jeanne Moreau, Vanessa Redgrave, …
Parfois, le « gros plan » se fixe sur un film : Blanche-Neige, dont les affiches retenues soulignent l’audace et le caractère unique, en 1937, de ce premier dessin animé long-métrage; Citizen Kane, au prestige durable dont témoignent ces affiches allemande, polonaise, italienne. L’ouvrage se penche aussi sur des genres particuliers : les « Midnight Movies » des années 70, se forgeant, par le bouche à oreille, des réputations (le El Topo de Jodorowsky), transformant des séances en happening kitsch (The Rocky Horror Picture Show), parvenant, par une seule affiche, à susciter un sentiment d’angoisse (la chevelure folle sur un arrière-plan menaçant du John Nance de l’Eraserhead), ou le cinéma, venant de France, dans les années 80, du « look », avec ces affiches de Diva (1981), et de Subway (1985), fort bien vendeuses du style visuel.
« Gros plan », surtout, sur ces créateurs d’affiches dont l’inévitable Saul Bass (l’Anatomy of a Murder, au corps démembré; les escaliers de West Side Story), grand complice de Hitchcock (Vertigo, North by Northwest). Haydn Smith le concède : « dans l’univers des affiches et des génériques de films, il y a Saul Bass et il y a les autres ». Il faut toutefois aussi mentionner les frères Sternberg, spécialistes du photo-montage, qui parviennent à obtenir « une parfaite synthèse des éléments formels et philosophiques de l’avant-garde russe ». Leurs affiches pour Cuirassé Potemkine en sont de parfaits exemples. Avec tout ce beau monde, il y a Bill Gold, de Casablanca à Dirty Harry, qui parvient à traduire, par un élément, un motif, le thème d’un film; Reynald Brown (le graphisme massif de l’affiche de 1959 de Ben Hur, c’est lui); Stephen Frankfurt, doué également pour les formules (le « Dans l’espace, personne ne peut vous entendre crier ! », c’est lui); Richard Ansel (dont l’affiche, évoquant férocement la nostalgie de The Sting, en 1973, mettant en vedette le duo Newman-Redford, sera maintes et maintes fois parodiée ou imitée); John Alvin, dont la E.T. (la bicyclette s’envolant devant une lune) suscite l’émerveillement pour l’éternité.
« Gros plan », enfin, sur des styles graphiques : le mélange percutant et réussi de glamour, de danger et d’action des affiches des James Bond, redevable, particulièrement jusqu’au milieu des années 70, au traitement de Robert E. McGinnis (qui parvient, également, à rehausser le sex-appeal d’une Audrey Hepburn sur sa Breakfast at Tiffany’s de 19161 ou d’une Jane Fonda sur sa Barbarella de 1968); la créativité et l’ingéniosité, brouillant la frontière entre l’art et le design, des affiches polonaises des années 60 (dont l’un des cofondateurs de cette école, Wiktor Gorka, va créer, en 1972, l’affiche à l’audace folle de Cabaret); ou « le renoncement à la profondeur » du « High Concept » hollywoodien des années 80, parvenant, par un « What a Feeling ! » ou la virilité brute de Tom Cruise, à définir Flashdance ou Top Gun.
Au final, il faut s’en réjouir, les grands absents (la provocante affiche québécoise du Déclin de l’empire américain, ou les attendrissantes retrouvailles, saisissant l’essence du film, d’Adrian et de Rocky Balboa, sur celle du premier Rocky, auraient pu s’y faufiler) sont peu nombreux dans ce Cinéma s’affiche.
Du délice pour les geeks de cinéma.
– Christian Vachon (Pantoute), 4 juin 2023
Le cinéma s'affiche : une autre histoire du 7e art
Une histoire du cinéma au XXe siècle, à travers 400 affiches classées décennie par décennie et montrant l'évolution de ce qui est représenté, du thème du film au vedettariat, jusqu'aux propositions graphiques à l'ère du numérique.
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