Les folles aventures de François-Henri Désérable en Amérique latine

Christian Vachon - 6 octobre 2025

En voyage, tout peut arriver et c’est tant mieux pour l’écrivain. François-Henri Désérable l’expérimente, en 2022, lors de son périple dans l’Iran répressif présenté dans son livre L’usure d’un monde. Et il renouvelle cette expérience dans l’essai Chagrin d’un chant inachevé : Sur la route de Che Guevara édité chez Gallimard.

Reculons d’une décennie : à l’insistance de ses amis et de sa famille, le jeune Désérable a l’occasion de s’établir, « d’investir dans la pierre », de s’endetter sur trente ans. Mais le continuel rêveur, s’enivrant depuis son enfance pour les noms de villes inconnues, préférera toujours « son sac de voyage » aux meubles. Il choisit de partir « sans raison ni délai ». Mais pour aller où ?

Pourquoi pas suivre en moto l’itinéraire qu’Ernesto Guevara, le futur « Che », et Alberto Granado ont entrepris en 1951, de Buenos Aires à Caracas, un périple de près de huit mille kilomètres ?

N’ayant dans sa besace que trois pauvres mots d’espagnol, « no habla espanol », il recrute Quentin, un compagnon de voyage hispanophone, et il part pour l’Argentine où l’attend une motocyclette, une Royal Enfield Continental GT 535.

Il arrive bien des événements malencontreux au duo où, pour notre plus grand bonheur, le formidable écrivain Désérable en tire toujours quelque chose.

À Buenos Aires, un tesson de bouteille, rien de bien agréable, lui caresse la gorge (Quentin amadoue le type avec un billet de cent pesos). À Santiago, au Chili, Quentin le quitte en apprenant qu’il a réussi l’écrit du concours lui ouvrant les portes de la diplomatie française. En Bolivie, il affronte en autocar (la moto est abandonnée depuis longtemps) des routes mauvaises et dangereuses. Dans un bidonville de Lima, il fait face à un berger allemand souhaitant refermer ses crocs sur lui (une fillette se porte à son secours). À la frontière du Pérou et de la Colombie, pour se rendre à Iquitos, la plus grande ville du monde à n’être reliée par aucune route, il s’enfonce dans la jungle avec une machette.

Guerrillero Heroico, photographie de Che Guevara prise par Alberto Korda le 5 mars 1960. Version populaire d’une photo rognée de Che Guevara alors qu’il est présent aux funérailles des victimes de l’explosion de la Coubre.

Plus invraisemblable, plus inouï encore, à Uyuni, en Bolivie, près d’une cimetière de locomotive à vapeur, François-Henri Désérable jase avec un Suédois de passage du but gagnant de Peter Forsberg lors d’un match de hockey contre le Canada à Lillehammer en 1994.

Et ici et là, tout au long de son parcours, le doué conteur nous émerveille en contant, entre autres, comment l’intuitif Hiram Bingham a « découvert » le Machu Picchu en 1911 ou comment, au siècle dernier, un importateur italien est parvenu à faire adopter la mode du chapeau melon en feutre noir aux Boliviennes.

Et partout, tant dans une auberge près du lac Titicaca que dans un village vénézuélien, il fait le constat que le Foot est roi.

Quelque chose ne tourne pas rond en ce monde, bien sûr : dans les mines, à Potosi, Désérable observe que « le diable est souverain », de quoi justifier le militantisme du Che. Mais il y a du beau malgré tout, du beau toujours au rendez-vous : le bric-à-brac fait de bric, de brac et de collines aux milles couleurs de Valparaiso, « ce bateau ancré sur la terre »; cette merveilleuse fenêtre sur la voie lactée lors de la traversée du désert d’Atacama; cette douceur de vivre à Sucre, en Bolivie, en faisant l’inventaire des étoiles après un carnaval. Et jamais il ne s’est senti aussi heureux qu’à Cuzco, au Pérou, y passant près d’un mois.

On lui déconseille fortement la visite du Venezuela (4 300 meurtres par an à Caracas; des enlèvements contre rançon devenus banals; un endroit où on manque de tout). Désérable persiste à y aller et là, également, il y voit de belles choses, de quoi noircir les pages : une fillette habillée de chiffons fredonnant une comptine; une mère visitant ses enfants à Paris et finissant toujours par rentrer à Caracas (« on ne quitte pas le chevet d’un malade »). « Estamos mal, pero vamos bien » (ça va mal, mais ça ira) répète-t-elle. « Ce n’est pas de l’optimisme béat, c’est du courage », constate le digne disciple de Nicolas Bouvier.

– Christian Vachon (Pantoute), 5 octobre 2025

Essais étrangers

Chagrin d'un chant inachevé : sur la route de Che Guevara

François-Henri Désérable - Gallimard

« Cet automne-là, les taux d'intérêt étaient en baisse, les prix de l'immobilier en hausse, ma famille, mes amis s'inquiétaient : est-ce qu'il n'était pas temps que j'investisse dans la pierre ? Avec un peu de chance et un banquier indulgent, je pouvais peut-être m'endetter sur trente ans (mon âge à l'époque). Je n'en avais ni les moyens ni l'envie. Signant un acte de vente, j'aurais eu la sensation de signer mon propre registre d'écrou - et de voir ma liberté circonscrite à quelques mètres carrés. Et puis un appartement, ça se meuble; aux meubles, il faudrait toujours préférer son sac de voyage. ». De Buenos Aires à Caracas, François-Henri Désérable nous embarque dans une formidable traversée de l'Amérique du Sud. Cinq mois à moto, en stop, en bateau, avec une seule contrainte : emprunter l'itinéraire qui fut celui d'Alberto Granado et d'Ernesto « Che » Guevara, lors du fameux voyage à motocyclette, soixante-cinq ans plus tôt.

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