Quand péter sa coche mène trop loin : des crimes sordides oubliés du Québec

Christian Vachon - 27 octobre 2025

« Que mort s’en suive » : c’est à cela que des juges au Canada et au Québec, portant cérémonieusement un tricorne noir et des gants d’une même couleur, condamnaient ces gens humiliés qui commettaient des actes irréparables il y a moins d’un demi-siècle. Était-ce juste ? Raymond Ouimet, chroniqueur d’histoire à différents médias et conteur né, puisant parmi les archives criminelles, tirant le meilleur des journaux de l’époque, révélant la richesse et la saveur des témoignages du temps, nous en livre des tristes exemples dans cette Vengeance des mal-aimés, trois drames oubliés édité chez Septentrion. Il nous partage trois récits terribles qui ont fait les manchettes au siècle dernier, des récits d’hommes rabaissés, épuisés, ne trouvant nulle autre porte de sortie, sans penser aux conséquences de leur acte, que d’éliminer ces êtres : membres de leur famille, collègues de travail et sources, pensent-ils, de leurs malheurs.

La première tragédie, un vrai roman poignant, un beau gâchis de vies humaines, met en scène un personnage éminemment sympathique malgré son crime, un agriculteur de Saint-Eustache, dans la région de Terrebonne, du nom de Théophile Bélanger. Il ne sait ni lire, ni écrire, mais est fort débrouillard. Il parvient à faire prospérer sa ferme, mais est constamment traité comme un moins que rien par son beau-frère instruit vivant chez lui. Un beau jour de l’hiver 1903, le beau-frère est retrouvé dans une grange, mortellement blessé d’une balle. Des preuves (du sang et l’achat d’un fusil) vont incriminer Théophile. Les tourments l’ont mené à cette poussée irrésistible, celle de tuer. La foule pleure, la lectrice et le lecteur aussi, en entendant le plaidoyer de la défense narrant comment le bonheur a fui cette ferme familiale. Mais « les larmes ne sont pas faites pour les tribunaux ». Il est conduit à l’échafaud, mourant peut-être d’une syncope avant la pendaison. Un boulevard à Saint-Eustache porte le nom de sa victime et de son persécuteur : Antoine Séguin.

La maison Théophile Bélanger. Source : Patrimoine-Laurentides.

La seconde affaire est plus sombre et plus meurtrière. Michel Bradley vit sur une ferme isolée de l’île aux Allumettes, dans la région de Pontiac, un lieu où le temps s’est arrêté au milieu du XIXe siècle. Ce « bon gars », souffre-douleur de son père, finit par le liquider ainsi que trois autres membres de sa famille en 1933. Il dévoile les détails à son avocat (il semble d’abord avoir confondu son oncle avec son père, tuant par la même occasion sa mère « témoin de son acte ») « comme si les meurtres étaient l’œuvre d’un autre. » On le déclare pourtant sain d’esprit.

Le troisième mal-aimé, Rosaire Bilodeau, attire franchement moins la compassion. « Insatisfait chronique » en défaut d’affection, facteur à Limoilou, quartier de Québec, il va, le 25 octobre 1934, tuer ses sœurs et sa nièce « parce qu’il ne voulait pas qu’elles survivent au déshonneur » avant d’abattre à coups de pistolet deux de ses supérieurs, en blessant gravement un autre. Il se fait arrêter sans résister. « Il n’a pas été correct pour [sic.] moi, » déclare-t-il en parlant d’un de ses patrons. « Il a eu juste ce qu’il a mérité ! Faites de moi ce que vous voudrez, j’ai accompli ce que j’avais à faire. » Des médecins n’ont pas constaté de délire paranoïaque chez Rosario.

Ces derniers « péteurs » de coche seront tous deux pendus par le bourreau Arthur Ellis en 1935, celui dont le nom honore maintenant, annuellement, les meilleurs romans policiers anglophones et francophones du Canada.

La justice a-t-elle été trop lourde, se questionne Raymond Ouimet, pour les cerveaux dérangés de Bradley et Ouimet ? Devait-on accoler cette double infamie « crime et pendaison » à ces gens ?

Il était trop tard pour eux lorsqu’il fut convenu, en 1976, que la peine capitale n’était pas nécessaire à l’exercice de la justice au Canada, donnant un peu de chance, alors, à la rédemption et au pardon.

– Christian Vachon (Pantoute), 25 octobre 2025

Histoire

La Vengeance des mal-aimés

Raymond Ouimet - Septentrion

Le désespoir et la vengeance peuvent être le moteur de crimes sordides. En puisant dans les archives judiciaires et dans la presse du début du XXe siècle, Raymond Ouimet revisite trois affaires criminelles ayant fait à leur époque couler beaucoup d'encre, mais ayant depuis sombré dans l'oubli. En 1902, Théophile Bélanger, un agriculteur de Saint-Eustache (Laurentides), ne supporte pas de se voir priver de son rôle de mari et de père de famille par son beau-frère, habile manipulateur, et ce, dans l'indifférence presque générale de ses proches et de son épouse. En 1935, la paisible île aux Allumettes (Pontiac) est le théâtre d'un drame lorsque Michael Bradley ouvre le feu après une dispute familiale. En 1934, Rosario Bilodeau, facteur célibataire vivant à Québec, met fin à six vies dans un accès de paranoïa. Dans les trois cas, les protagonistes ont procédé à l'élimination des personnes qu'ils pensaient être la source de leurs malheurs.

Acheter

Commentaires

Retrouvez toutes nos références

Notre catalogue complet